Marina Kazantseva

L'histoire du machiniste de théâtre François Thibeaux et de ses descendants

J'ai appris à propos du machiniste François Thibeaux grâce aux mémoires de mon arrière grand-mère, Eugénie Thibeaux-Brignoles, écrit dans l'Oural au début du XXe siècle.

Après la mort de son mari, ingénieur minier Joseph Thibeaux-Brignoles, en 1920, leur fils Vladimir a demandé à sa mère d'écrire tout ce qu'elle connassait sur l'histoire de la famille Thibeaux. Elle s'en souvint un peu et il n'y avait personne à demander.

Dans l'espoir de connaître l'origine, l'histoire des descendants de François Thibeaux, je me suis tourné vers les archives.

Les recherches ont été effectuées à Saint-Pétersbourg, Moscou, Paris, Nantes, Brignoles.

Malgré les nombreux documents retrouvés, certaines énigmes n'ont pas encore été résolues.

L'histoire du clan Thibeaux rappelle un roman d'aventure avec ses intrigues; on peut l'utiliser pour étudier l'histoire de la Russie.

Eugénie Thibeaux-Brignoles, Au début des années 1880, Ekaterinbourg, L'Oural.

François Thibeaux

Le machiniste François Thibeaux (1776, France -1851, S.Petersbourg) est l'ancêtre de la famille Thibeaux-Brignoles en Russie. Il est apparu en Russie au début du XIXe siècle. En 1804, il entra au service de la direction des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg. Ayant servi pendant huit ans comme charpentier, Il a reçu le poste d'ingénieur en mécanique de théâtre.

François a travaillé sous la direction du chorégraphe Charles Didelot, qui a mis en scène des ballets avec des décors complexes, les nymphes et dieux volant dans les airs. Les machinistes - souvent les étrangers, formés à l'étranger, - étaient responsables pour la partie technique des ballets.

Thibeaux rêvait de monter une petite production. En 1821, après avoir reçu une somme importante pour le travail contractuel du comte Guryev, il a essayé d'ouvrir une usine de tissus à quatre miles de Petersburg, dans le village Ymelianovka. Mais le plan a échoué, Il y a eu un conflit monétaire avec un responsable engagé, cela s'est terminé par l'intervention de la police.

François est retourné au théâtre et a occupé le poste d'ingénieur en chef en mécanique.

François Thibeaux et Thérèse Holmerus

La future épouse de François - Thérèse Holmerus - est née dans le Duché de Holstein. Au début du XIXe siècle, elle vint avec ses parents à Saint-Pétersbourg elle s'est mariée et a donné naissance à trois fils et une fille.

Que s'est-il passé ensuite? Nous ne pouvons que supposer: pour une raison quelconque, Thérèse a perdu son mari et ses fils. Le mariage avec François était le deuxième pour elle.

François et Thérèse étaient des paroissiens de l'Église catholique romaine Sainte-Catherine sur Nevski Avenue.

Dans les livres métriques de cette église, il y a des enregistrements de la naissance des enfants illégaux par Thérèse : Théodore, Julien, Pierre-Antoine, Joseph, Marie-Anne. François Thibeaux est nommé comme leur père. Quand le fils aîné Théodore avait 17 ans, il y avait une place prestigieuse pour le début de la carrière du jeune homme

Un document du dossier de la légalisation du mariage (les Archives diplomatiques - Centre de Nantes).

Tout a gâché l'enregistrement de l'église sur l'illégalité de la naissance. Puis, en avril 1827, François et Thérèse se sont mariés à l'église Sainte-Catherine. À leur déception, les enfants ont continué à être considérés comme illégaux, car ils n'étaient pas inscrits dans le dossier du mariage de l'église.

En 1832, François avec sa femme, ses enfants et plusieurs témoins se présentent au consulat Français de Saint-Pétersbourg pour formaliser la légalisation du mariage. Le dossier de la déclaration du machiniste Thibeaux, des extraits des livres de l'église Sainte-Catherine, des témoignages, est toujours conservé aux archives du ministère des affaires étrangères à Nantes.

Thérèse Thibeaux meurt le 19 septembre 1835 d'une pneumonie. François l'a survécu pendant 15 ans.

L'énigme des origines de François Thibeaux

Il y avait plusieurs français nommésThibault, Thibeaux (avec la même orthographe en russe) qui travaillaient à Saint-Pétersbourg au XIXe siècle. Probablement la confusion avec les mêmes noms de famille a fatigué les fils de François, cela a entravé leurs carrières. À partir de 1839, ils ont commencé à ajouter au nom 'Thibeaux' le préfixe 'Brignoles'.

Eugenie Thibeuax-Brignoles explique dans ses mémoires que François est né à Brignoles, une ville du Sud de la France.

Mais son fils Vladimir a écrit '"Il est douteux". Nos recherches dans les archives de Brignoles n'ont pas encore abouti: aucun dossier de naissance de F. Thibeaux n'a été trouvé. Pourtant, dans les années trente du XIXe siècle, au cours de l'enregistrement au consulat Français d'un document sur la légalité de ses cinq enfants, François a confirme part ecrit, avec plusieurs témoins respectés, qu'il était né en... Brignoles.

Place Caramy, Brignoles.

Le destin des enfants de François Thibeaux

Théodore Thibeaux: l'éducateur de Piotr Tchaïkovski, conseiller Privé

Théodore Thibeaux (1810-1880) était le fils aîné de François. À dix-sept ans, Théodore a commencé à travailler comme fonctionnaire par lettre à la Commission de la construction du Concile Saint-Isaac auprès de l'arcitecte de Montferrand. Diplômé de l'Université de Saint-Pétersbourg, il est devenu professeur de Gymnase, il a enseigné à l'institut Smolny, École commerciale, École de l'ordre de Sainte-Catherine.

En 1847, Théodore est transféré à l'école impériale de droit, où, pendant treize ans, a servi dans différents postes: bibliothécaire, professeur de littérature française, éducateur des classes préparatoires, professeur de statistiques et de Géographie.

Le futur grand compositeur Piotr Tchaïkovski mentionne Théodore Thibeaux dans ses lettres à ses proches:

Saint-Pétersbourg, janvier-février 1852

'Cher Papa et Maman! Notre nouvel éducateur, M. Thibeaux, comme je vous l'ai déjà écrit, est si gentil que je ne peux pas vous le décrire. Il a attiré l'attention principalement sur les cours. Pendant la préparation des cours, il ne nous laisse pas paresseux une minute, ce qui est très bon pour nous, donc, je ne peux pas vous écrire beaucoup .... Je vais demander à M. Thibeaux de vous écrire une lettre à mon sujet...'.

Dans 1850, Piotr Tchaïkovski a été identifié dans le département de préparation de l'École de droit. Piotr vivait loin de sa famille dans la pension de l'École, et Théodore Thibeaux y a servi d'éducateur.

À l'âge de 50 ans, Théodore est devenu fonctionnaire des missions spéciales auprès du directeur général de la branche IV de la chancellerie impériale, le Prince Pierre Oldenbourg. Le Prince, le petit-fils du Paul Ier de Russie, était porteur d'idées humaines, réformateur dans l'éducation des femmes. Le Prince a consacré sa vie à l'amélioration de la situation des femmes en Russie. Le Prince avait besoin de compagnons, de personnes compétentes en matière d'éducation. Théodore, qui avait le même âge, est devenu l'un de ces assistants. Le Prince est devenu le parrain de la fille de Théodore, Charlotte. À l'âge avancé, Théodore avait un statut très élevé de Conseiller Privé.

Les jeunes frères Thibeax

Les trois frères cadets de Théodore - Julien, Joseph, Pierre - ont reçu la profession d'architecte. Leur père n'aurait pas pu apprendre trois fils à l'Académie des Arts à ses frais. Heureusement, à l'époque, il existait un système d'apprentissage pour les enfants de parents non riches: les professeurs de l'Académie ont recruté des groupes d'étudiants libres qui ont passé la pratique pendant plusieurs années dans les ateliers de dessin et dans la construction de bâtiments. Parfois, ils recevaient de la nourriture et une petite taxe, et puis ils pourraient accomplir la tâche de l'Académie des Arts et obtenir le titre de peintre d'architecture Libre, qui a donné le droit de travailler comme architecte.

Julien et Joseph étaient les disciples de A. Bryullov, et Pierre était un disciple de P. Gonzago.

Julien Thibeaux: architecte moscovite

Julien (1812-1858) dans sa jeunesse se trouvait des commandes privées pour la construction de bâtiments à Moscou et dans la province de Moscou. En 1836, il reçoit le titre de peintre d'architecture Libre de l'Académie des Arts pour le projet de l'église de la cathédrale d'une centaine de personnes.

Julien a construit un manoir à Kuchino, il a construit l'église Sainte-Trinité dans le village de Filimonki, il était l'architecte du bureau de poste de Moscou, puis -'L'architecte selon différentes parties' dans Le premier corps de cadets de Moscou, où il a servi pendant dix ans.

Julien est mort assez tôt et n'a pas laissé de descendance.

Pierre-Antoine Thibeaux: gérant de domaine, écrivain

Pierre Antoine Thibeaux (1819-1884) a servi comme gestionnaire du domaine dans les provinces d'Orel, de Smolensk et de Poltava. Il était fasciné par la recherche scientifique naturelle. Il s'intéressait aux lois de la physique, aux causes du choléra, aux principes de l'homéopathie. Pierre était convaincu de la ruine des idées du socialisme, une aversion pour lequel ('socialisme en peau de mouton ') à traversé ses œuvres. En 1855, à Smolensk, Pierre a donné quatre conférences publiques sur ses observations sur l'agriculture.

Le livre de Pierre Thibeaux-Brignolles sur les méfaits du socialisme. Smolensk, 1884.

Joseph Thibeaux: architecte municipal de la ville d'Orel

Le fils cadet de François, Joseph (1820 - 1895) - après avoir étudié l'architecture avec le professeur Bryullov est allé à Orel, et tout son destin est lié à cette ville.

En 1844, il obtient le titre de peintre d'architecture Libre. Il a servi dans la chambre des architectes de la ville Orel sous la direction de l'architecte russe talentueux Stakenschneider. Joseph devint plus tard "L'architecte selon différentes parties" dans le corps des cadets de Bakhtin, à l'Institut des filles nobles.

Après vingt-cinq ans de service d'architecte, ayant obtenu le titre d'Académicien de l'Architecture, Joseph Thibeaux-Brignoles a été nommé architecte municipal de la ville de Orel et a occupé ce poste jusqu'à la fin de sa vie.

Joseph a créé de nombreux projets architecturaux: les maisons de Roth, les maisons de Sablik; Il a construit sur un projet prêt à l'emploi l'église catholique romaine, a réalisé les projets des maisons des bourgeois de Orel. ' Pendant le service de Joseph Thibeaux, la ville s'est transformée ; Orel est devenue l'une des plus belles villes de Russie ' (Ceci a été écrit par le chercheur V. Vlasov dans son livre 'Eaux printanières', 1995).

Orel, La Maison do Rodin. Fin du 19ème siècle. Projet de l'architecte Thibeaux.

Petits-enfants de François Thibeaux

Édouard Thibeaux-Brignoles

L'un des petits-enfants du machiniste Thibeaux a écrit au révolutionnaire et écrivain Alexandre Herzen.

Édouard Thibeaux-Brignoles (fils du Conseiller Privé Théodore Thibeaux) est né en 1839 à Saint-Pétersbourg. Édouard a étudié à Londres, a gagné sa vie en tant que professeur d'allemand, s'est intéressé à la politique. En 1860, alors qu'Édouard avait vingt et un ans, il écrivit une lettre à Alexander Herzen, qui vivait aussi à Londres, y publiant le journal ' 'La Cloche', en russe : 'Колокол'. Édouard a exprimé ses craintes pour le sort de la Russie dans le cadre du renforcement de la puissance de l'Allemagne. La lettre a été écrite en français.

Édouard écrit sur lui-même: '...Né à Saint-Pétersbourg, j'étais à l'âge de 10 ans envoyé par mon père à l'étranger, depuis lors, je n'ai été en Russie qu'une fois, une très courte période de temps malgré mon désir de rester. Je pense que vous comprendrez maintenant pourquoi ma langue maternelle est devenue moins libre que l'allemand et le français, mais mon cœur est resté russe, j'aime ma patrie et porte son image en moi, parce que c'est une trace qui ne sera jamais effacée. Jusqu'à présent, je suis obligé de rester à l'étranger, mais pas pour longtemps, deux ans de plus.

Oscar Thibeaux-Brignoles

Les petits-enfants du machiniste, Joseph et Oscar, les fils de l'architecte Joseph Thibeuax, diplômés du Gymnase provincial d'Orel, ont poursuivi leurs études à Saint-Pétersbourg.

Oscar est diplômé du département d'Architecture de l'Académie des Arts et est devenu architecte. De 1888 à 1890, il s'occupe de l'installation du département russe pour l'exposition universelle de Paris, pour lequel il a reçu l'ordre de l'Académie Française. À Saint-Pétersbourg, quatre maisons construites selon ses projets ont été conservées.

Une des maisons construites sur le projet de Oscar Thibeaux-Brignoles. St. Pétersbourg, Canal Griboyedov, 22.

Joseph Thibeaux-Brignoles

Joseph, le frère cadet d'Oscar, est diplômé de l'institut des Mines de Saint-Pétersbourg et a reçu une nomination à l'Oural. Ainsi, les descendants du machiniste théâtral Thibeaux, s'étant retirés de Saint-Pétersbourg à Orel, sont arrivés encore plus loin dans les profondeurs de la Russie, à l'est.

La vie de Joseph était entièrement liée à l'Oural. Il s'est montré un spécialiste compétent, un inventeur talentueux, un excellent organisateur. Les documents disponibles témoignent de la réputation irréprochable de Joseph Thibeuax-Brignoles. Ainsi, dans la Demande du chef Des Usines de montagne de l'Oural Boklevsky de 1904 pour la nomination d'un ingénieur Minier, conseiller d'État I. I. Thibeuax-Brignoles en tant que Directeur du laboratoire chimique de l'Oural et de l'alliage d'Or, il caractérise Joseph comme un homme " impeccablement honnête et capable'.

Joseph épousa Eugénie Trofimova, nièce des marchands Zlokazov de l'Oural. La famille avait huit enfants. L'un des fils de Joseph Iosifovich - Vladimir, est également devenu ingénieur minier. Il a beaucoup fait pour l'industrie de l'Oural. Son fils Nikolai était un participant à la tristement célèbre l'affaire du col Dyatlov.

La Famille d'ingénieur minier Joseph Thibeuax-Brignolles, été 1899

L'histoire du sort des représentants de la famille Thibeaux au XXe siècle (Grande guerre, la guerre civile en Russie, industrialization, etc.) est l'objet d'un essai séparé. Je dirai seulement que, au XXIe siècle, il y avait trois branches des descendants de Joseph Thibeaux-Brignoles, bien que ne portant plus ce nom inhabituel.

François Thibeaux, alors qu'il voyageait une fois en Russie enneigée lointaine, ne pouvait guère imaginer que son nom serait inscrit dans l'histoire Russe.

(C) Marina Kazantseva. Édité par Anna Ermolaeva. Traduction d'un article publié dans la revue Traqueur de l'Oural ('Уральский Следопыт', 2014. # 6 (Juin), 684. P. 12-17. Traduction par Anna Ermolaeva.