Cela faisait déjà deux heures que l’inspecteur Lavoine battait la semelle dans l’avenue Kleber. Pour rien. Car, comme d’habitude, le « client » allait rentrer chez lui avec un retard considérable sur l’horaire prévu.
Lavoine était de ces policiers qui supportent sans broncher d’interminables attentes. Les intempéries ne le gênaient pas, physiquement, et la monotonie d’une surveillance très probablement superflue n’altérait en rien son sens de l’observation.
De taille moyenne, coiffé d’un petit feutre gris foncé et vêtu d’un imper de tergal noir, une cigarette non allumée au coin de la bouche et le visage inexpressif, il déambulait le long des voitures en stationnement sans perdre de vue l’entrée d’un immeuble de grand standing dont la porte cochère restait ouverte en permanence, du moins jusqu’à onze heures du soir.
En cette soirée d’octobre, le vent doux et humide qui venait de la place de l’Étoile chassait les feuilles mortes sur la chaussée. Au loin, l’arc de triomphe, blanchi par un récent nettoyage, resplendissait sous les feux des projecteurs.
La densité de la circulation commençait à décroître. Le regard de Lavoine embrassa un instant la perspective de l’avenue dans l’espoir de distinguer l’approche d’un motard mais, une fois de plus, il fut déçu. Il poursuivit alors son chemin jusqu’à la berline Peugeot dans laquelle, depuis quelques minutes, son collègue Duclos se reposait un peu tout en surveillant, lui aussi, les abords de l’immeuble.
Duclos, un quadragénaire corpulent et sanguin, présenta par la fenêtre ouverte le bout rougeoyant de sa cigarette à Lavoine, qui prit du feu et dit ensuite :
- Six entrants, deux sortants. D’accord ?
- D’accord. Quand tu voudras t’asseoir, fais-moi signe.
- Ne t’inquiète pas. Si la flotte se met à tomber, j’irai m’abriter sous le porche du 38.
Duclos acquiesça et Lavoine reprit sa marche vers l’Étoile. Une trentaine de mètres plus loin, il se posta à un arrêt de l’autobus, avec d’autres personnes.
Il se demandait toujours, dans ces cas-là, si, parmi les gens qui se trouvaient près de lui, il y en avaient qui le soupçonnaient d’être un flic. Souvent, son incognito lui procurait une satisfaction discrète, teintée d’un léger sentiment de supériorité, et à d’autres moments il en éprouvait une sorte d’embarras. C’était les jours où l’utilité de sa tâche lui semblait discutable.
De fait, pendant des mois et des mois, il poireautait ainsi en divers endroits de Paris, à l’affût d’un incident, et il ne se passait jamais rien. Il fallait avoir le moral bien accroché pour exercer ce métier en gardant le feu sacré.
Les personnalités dont il assurait la protection ne se rendaient pas compte... Neuf fois sur dix, elles ignoraient même que l’inspecteur Lavoine, anonymement perdu dans la foule, se tenait prêt à affronter les balles pour leur sauver la vie.
Au fond, c’était peut-être cet esprit de sacrifice qu’on exigeait de lui qui rendait acceptable, à ses yeux, une activité plutôt morne, faite surtout de patience et d’attention.
Soudain, le vrombissement caractéristique d’une grosse moto débouchant de la place de l’Étoile fit dévier le regard de Lavoine. Il ne s’attarda pas sur le conducteur casqué, sanglé dans sa tenue de drap bleu foncé, mais guetta ce qui venait derrière.
Quelques secondes plus tard, une DS noire décrivit le même virage et emprunta l’avenue Kleber. Lorsqu’elle passa devant Lavoine, il entrevit trois hommes à l’intérieur, deux sur la banquette avant, un sur le siège arrière.
Plus alerte, il quitta l’arrêt de l’autobus et se dirigea vers l’immeuble tout en tenant à l’œil les piétons qui, à cet instant précis, déambulaient aux environs de l’entrée cochère.
Le motard continua de rouler à petite allure, droit devant lui, mais il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer que la DS arrivait à destination sans encombre. En effet, la voiture surbaissée, tournant sur la droite, lança deux appels de phares pour prévenir les promeneurs et s’engagea sur le trottoir afin de pénétrer dans le couloir de l’édifice.
Dès lors, Duclos et Lavoine se sentirent moins futiles. Maintenant, quelqu’un était confié à leur garde. Et, désormais, la figure des gens qui franchiraient le seuil de cette maison serait scrutée avec une défiance accrue.
Peu après, la DS ressortit en marche arrière. Seul le chauffeur l’occupait encore. Elle vira précautionneusement d’un quart de tour de manière à se replacer dans l’alignement de l’avenue, puis elle démarra en silence, fila dans la direction du Trocadéro.
Les deux inspecteurs, après leur mouvement convergent vers l’entrée de l’immeuble, changèrent de secteur et gagnèrent les endroits où ils allaient rester en faction jusqu’à la relève. Il était huit heures un quart ; la moitié de leur temps de service était donc déjà dépassée.
Contrairement aux prévisions, la pluie ne tombait toujours pas. La température, elle, fraîchissait nettement. Lavoine releva le col de son imper avant de se réfugier dans une encoignure pour allumer une autre cigarette.
A ce moment de la soirée, le flot des voitures et des passants s’inversait : il y en avait beaucoup plus allant vers les Champs-Élysées que dans l’autre sens. Visiblement, de nombreux couples se rendaient au théâtre et au cinéma.
Lavoine soliloquait sur le dernier film qu’il avait vu, lorsque le mugissement puissant d’un klaxon s’éleva, dominant tous les autres bruits par sa clameur. De quoi valoir une superbe contredanse à l’automobiliste qui en était responsable...
Mais l'assourdissant vacarme s’éternisa. Pas de doute, le contact restait collé.
L’inspecteur essaya de localiser la voiture qui était à l’origine de ce raffut. Comme tout le monde, il tourna la tête vers l’autre côté de l’avenue. Cela devenait franchement infernal. Qu’attendait donc cet idiot pour déconnecter un des souliers de câble de sa batterie ?
Mû par une impulsion, Lavoine faillit s’engager sur la chaussée. Il s’en abstint cependant, se disant que ce n’était pas son rôle et qu’un gardien de la paix ne tarderait pas à surgir. En dépit de cette note soutenue, véhémente, qui vrillait les tympans et attirait invinciblement l’attention, il reporta son regard sur le large couloir d’entrée, éclairé, de l’immeuble. Rien de spécial.
Un attroupement commençait à se former sur le trottoir d’en face. A vrai dire, personne ne parvenait à identifier le véhicule dont l’avertisseur fonctionnait sans désemparer. Les voitures s’écoulaient normalement dans les deux sens, chacun s’interrogeant sur la cause de cette tempête sonore.
Enfin, un agent de police accourut, fendit les rangs des badauds pour atteindre la source du délit. Le malheur, c’est qu’il avait beau hurler des questions, on ne le comprenait pas plus que lui ne pouvait entendre les mots braillés par ses interlocuteurs. Il finit pourtant par s’apercevoir que le mugissement ne s’échappait pas du capot d’une Opel Admiral en stationnement mais... d’une poubelle se trouvant juste à côté !
Le gardien de la paix, plus tenté de se boucher les oreilles que d’employer ses mains à autre chose, essaya vainement de soulever le couvercle du récipient en matière plastique. Énervé de surcroît par l’hilarité qu’il déchaînait, il souleva la poubelle tout entière, non sans effort car elle était très lourde, et il la laissa violemment retomber sur le sol sans, pour autant, réussir à interrompre le vacarme. Alors, furibond, il tapa dedans à coups de pieds rageurs, qui se révélèrent tout aussi inopérants.
Soit parce que ce son continu provoquait à la longue une sensation douloureuse, soit qu’ils se fussent avisés du caractère insolite de cette poubelle transformée en sirène d’alarme, les curieux commencèrent à s’en éloigner.
L’agent, qui se demandait sérieusement s’il n’allait pas faire taire cette singulière boîte à ordures en la transperçant de quelques balles de son pistolet, fut effleuré par l’idée qu’elle contenait peut-être de l’explosif. Ce montage n’était pas l’œuvre d’un mauvais plaisant ou d’un déséquilibré. En déposant là cet engin, on avait un but autre que celui d’embêter les riverains et la police.
Tant pis pour la sérénade... Enjoignant aux derniers badauds de s’écarter de l’indestructible poubelle, le gardien de la paix se disposait à courir vers la borne d’appel la plus proche lorsque survint un car qui effectuait des rondes dans le quartier. L’agent s’élança au-devant de ses collègues et il entreprit de les mettre au courant.
Pendant ce temps-là, Duclos, flairant quelque chose de trouble dans ce chahut intempestif, avait marché lentement vers la berline Peugeot et s’y était installé. De là, il avait à la fois dans son champ de vision l’entrée du domicile du « client » et la scène qui se déroulait sur l’autre trottoir.
Des gens courroucés apparaissaient aux fenêtres et sur les balcons. Certains proféraient des injures.
L’inspecteur Lavoine, immobile, aux aguets, leva les yeux vers les fenêtres du locataire dont il assurait la protection, au troisième étage. Elles étaient fermées, de la lumière filtrait entre les rideaux.
Lavoine pria le ciel que l’intéressé n’eût pas la malencontreuse inspiration de se montrer. Qui sait si le fonctionnement de cet avertisseur n’avait pas pour objectif, précisément, de le faire apparaître derrière la vitre... Avec une carabine à lunette, d’un des étages des maisons d’en face, un bon tireur pourrait le descendre à coup sûr.
Au-dessus des lampes de l’éclairage public, ces façades étaient plongées dans l’ombre. Impossible de voir si quelqu’un était embusqué là-haut.
Saisi par le trac, Lavoine aperçut un homme nu-tête, en complet veston, qui sortait de l’immeuble surveillé. Les mains dans les poches, intrigué par l’insupportable mugissement du klaxon et par la présence d’un car de police, cet habitant de la maison traversa la rue pour élucider les raisons de ce remue-ménage. Sa silhouette se perdit bientôt dans la foule.
Après quelques essais infructueux, les agents du car jugèrent plus expédient d’embarquer le mystérieux ustensile dont ils ne parvenaient pas à détraquer le mécanisme. Avec une pèlerine, l’un d’eux bouchait les trous ronds, d’un centimètre de diamètre, par où s’échappait le son ; quand les portes du car se refermèrent, on cessa presque d’entendre la tonalité du signal.
Lavoine lâcha un soupir d’aise, non seulement parce que ses tympans étaient soulagés mais aussi parce que le « client » n’avait pas commis l’imprudence redoutée. Évidemment, ce bonhomme n’était pas né de la dernière pluie... Il avait dû penser à l’éventualité qu’avait envisagée l’inspecteur.
Lorsque la voiture de police eut quitté les lieux, les badauds se dispersèrent rapidement et l’avenue ne tarda pas à reprendre son aspect normal.
Une 404 beige clair sortit de l’immeuble avec une prudente lenteur. Lavoine l’aperçut, se déplaça vivement pour relever son numéro d’immatriculation, l’identifia comme appartenant à un des locataires qui résidaient dans le building.
Un instant, il la suivit des yeux puis il éprouva le besoin d’échanger quelques mots avec son collègue.
Il monta dans la berline, s’assit à côté de Duclos.
- Ça ne t’a pas paru bizarre, toi, ce boucan ? s’informa-t-il, soucieux. On n’aurait pas pu trouver mieux pour amuser la galerie et pour détourner notre attention...
- C’est bien ce que je me suis dit, approuva Duclos. Aussi, je te prie de croire que j’ai fais gaffe, et plutôt deux fois qu’une !
- Moi aussi. Je n’ai été distrait qu’un quart de seconde, tout au début. Enfin, à part cet intermède, tu n’as rien noté de particulier ?
- Non... Le type qui est venu voir, puis le départ, il y a un instant, de la 404 répertoriée. C’est tout.
Un silence.
Lavoine reprit :
- Un avertisseur et une batterie montés dans une poubelle... Un drôle de canular, non ? J’ai du mal à me figurer que ça ne rime à rien.
Duclos afficha une face bougonne.
- Écoute, dit-il, cette histoire ne doit pas nous tarabuster jusqu’à la fin de notre garde. Va te renseigner dans la maison et assure-toi que rien ne cloche.
- J’en meurs d’envie, avoua Lavoine tout en rouvrant la portière.
Il fila en oblique vers l’entrée de l’édifice, s’engagea dans le couloir, gravit les escaliers de marbre menant au hall et alla frapper à la loge du concierge. Ce dernier se manifesta aussitôt.
- Bonsoir, Kessler, salua l’inspecteur à mi-voix. Est-ce que tout va bien ?
- Ici, oui, mais que s’est-il passé à l’extérieur ? Encore un imbécile qui ne parvenait pas à arrêter son klaxon ?
- Pas exactement, éluda Lavoine. Tu n’as pas bougé de ta loge ?
Ils appartenaient au même service et se connaissaient depuis des mois. Kessler remplissait les fonctions de concierge depuis que le « client » avait élu domicile dans cette résidence. Les traits, le son de la voix, le pas, la silhouette et même les tenues vestimentaires des quelque soixante personnes qui fréquentaient les lieux (47 locataires et le personnel des bureaux du rez-de-chaussée) étaient rigoureusement fichés dans sa mémoire, bien que sa physionomie de père pantouflard le fît, en général, considérer comme une quantité négligeable.
- Je n’ai pas mis le nez dehors depuis 6 h du soir, répondit-il, les mains croisées sur son ventre. Ne sais-tu pas que c’est la consigne ? Tant qu’il n’est pas rentré, je n’ai pas le droit d’aller me balader.
- Ah ! bon... Non, j’ignorais.
Lavoine réfléchit, puis ajouta :
- Ça ne te ferait rien de passer un coup de fil à la planque du garde du corps, là-haut ?
Kessler haussa les sourcils.
- Pour lui demander quoi ?
- Pour voir s’il est là, simplement.
- Mais je l’ai vu monter avec le client... Ça ne te suffit pas ?
- J’aimerais quand même que tu l’appelles, insista Lavoine. Cet incident qui s’est produit dans la rue nous a intrigués. On préférerait en avoir le cœur net.
- Bon. Si tu y tiens, fit Kessler en décrochant le téléphone d’un geste négligent tandis que l’inspecteur refermait derrière lui la porte de la loge.
Le concierge forma les deux chiffres du petit appartement réservé, au troisième étage, au « gorille » chargé de veiller la nuit sur la sécurité de l’homme qui occupait l’appartement voisin.
La sonnerie résonna plusieurs fois. Kessler, se rembrunissant, dit à l’intention de Lavoine :
- On ne répond pas.
Il garda encore le récepteur à l’oreille pendant quelques secondes, eut une mimique perplexe et dit en replaçant le combiné sur le socle de l’appareil :
- Ne te frappe pas trop... Il est peut-être chez le client. Parfois celui-ci lui offre l’apéritif et, d’autre part, ce vacarme dans l’avenue risque de l’avoir mobilisé.
- C’est possible, admit Lavoine, pas très convaincu. Reste là et ouvre l’œil. Je vais pousser une pointe jusqu’au troisième.
Kessler, influencé par l’inquiétude à peine voilée de son collègue, marmonna de sa voix de basse :
- C’est plutôt moi qui devrais y aller...
- Il vaut mieux que tu observes les allées et venues, puisque tu peux faire la différence entre les gens de la maison et les étrangers.
Lavoine s’éclipsa. La cabine de l’ascenseur était au rez-de-chaussée, libre. Après une brève hésitation, le policier gravit quatre à quatre les marches de l’escalier.
Un silence tout à fait rassurant régnait dans l’édifice ; les pas de Lavoine étaient amortis par une épaisse moquette. A peine discernait-on, sur le palier du deuxième, le lointain écho d’une musique diffusée par le poste ou l’électrophone d’un des locataires.
Un peu essoufflé, l’inspecteur se dirigea vers la porte du local affecté au garde du corps. Il tapa discrètement sur le panneau de bois. Ceci ne provoquant aucune réaction, il fit tourner le bouton et tenta d’entrer. L’huis était fermé à clé.
Tournant les talons, Lavoine gagna la porte d’en face, appuya un index légèrement moite sur le bouton de sonnerie.
Le battant s’écarta et une domestique d’un certain âge se profila dans l'entrebâillement.
- Excusez-moi, dit Lavoine. Monsieur Lorfèvre est bien rentré, n’est-ce pas ?
La servante braqua sur lui un regard suspicieux.
- Non, il n’est pas là, rétorqua-t-elle. Aviez-vous un rendez-vous ?
L’inspecteur exhiba sa carte de la Préfecture.
- Je l’ai vu pénétrer dans l’immeuble... Il était accompagné par un homme de confiance. Dites-moi franchement s’ils sont là, tous les deux. C’est indispensable.
Son ton sérieux et pressant porta sur la femme. De l’étonnement se peignit sur son visage ingrat.
- Mais... c’est vrai, je vous assure, déclara-t-elle. M. Lorfèvre n’est pas chez lui. Nous l’attendons d’un moment à l’autre. Désirez-vous voir Madame ?
Une sueur froide monta au front de Lavoine.
- Non merci, prononça-t-il. Je m’excuse encore. Et je vous prie de ne pas rapporter ceci à votre patronne. Dites-lui que je suis un visiteur qui s’était trompé de porte.
Il salua d’un coup de chapeau, dévala les marches à toute allure, se précipita vers la loge. Le devançant, Kessler ouvrit, l’air anxieux.
- Ça sent le roussi, lui jeta Lavoine. A ton avis, le client a-t-il pu faire une escale dans un autre appartement avant de réintégrer le sien ?
- Pas question ! Il n’entretient strictement aucun rapport avec les autres habitants de l’immeuble. Enfin, ne charrie pas... Je l’ai vu monter, je te dis !
- N’empêche qu’il n’est pas chez lui, la bonne est formelle. Et la planque est toujours fermée à clé.
Les deux hommes s’examinèrent mutuellement, cherchant la décision qu’il fallait prendre. Kessler se pétrit le front.
- Préviens le copain qui est à l’extérieur et rapplique, articula-t-il, la gorge sèche. Qui est-ce ?
- Duclos.
- Qu’il avise la Préfecture par radio. A tout hasard, je vais commencer par boucler les vantaux de l’entrée. Grouille-toi.
CHAPITRE II
Hâtivement, Lavoine avisa son camarade Duclos qu’il se passait quelque chose d’assez inexplicable.
- Il n’y a pas de raison de s’affoler mais Kessler est tout de même d’avis que tu devrais signaler le fait sans attendre, déclara-t-il. Demande un ou deux hommes de renfort ; moi, je vais parcourir la maison de haut en bas. Kessler va fermer les portes pour empêcher les bagnoles de sortir sans inspection préalable.
Duclos arbora une expression ennuyée.
- C’est peut-être prématuré d’alerter la Préfecture, non ? objecta-t-il. Le type est forcément à l’intérieur, avec son garde du corps. Essaie d’abord de les dénicher.
Lavoine, dubitatif, secoua la tête.
- Mieux vaut se mettre à couvert, d’emblée. On ne nous en tiendra pas rigueur si c’est une fausse alerte mais, dans le cas contraire...
- Oui, au fond, accepta Duclos avec un haussement de ses lourdes épaules. Ça ne coûte rien d’établir la liaison.
Il se pencha pour actionner un interrupteur sous le tableau de bord et Lavoine s’en retourna vers la porte cochère, guetté par Kessler qui la tenait entrebâillée.
- Cette fois, je prends l’ascenseur, annonça l’inspecteur au concierge occupé à verrouiller les vantaux.
La cabine était toujours là. Lavoine s’y enferma et appuya sur le bouton de l’étage le plus élevé.
Par acquit de conscience, il examina les cloisons et le plancher pendant que l’engin s’élevait. Ne décelant aucune anomalie, sinon une trace d’odeur d’encaustique, il s’efforça de tempérer sa nervosité.
Une question, pourtant, le harcelait : si, d’aventure, un meurtrier muni d’une arme silencieuse, mettant à profit l’absence d’un locataire, s’embusquait dans son appartement deux ou trois heures avant le retour présumé du client, il pouvait théoriquement le faire à l’insu de Kessler. Ce dernier contrôlait bien les entrées et les sorties des visiteurs, mais il ne pouvait deviner si leur présence était légitime ou non, ni chez qui ils se rendaient.
Il y avait là une lacune dans le système, mais comment l’éviter ? Pour qu’une surveillance soit efficace, il faut qu’elle s’exerce d’une façon invisible, sans quoi on parvient toujours à la déjouer.
La cabine s’arrêta au septième. Entre-temps, la minuterie s’était éteinte. Lavoine manœuvra les portes, prit pied sur le palier et pressa le bouton de l’éclairage, sur le mur opposé. Instantanément, il eut un coup au cœur. A quelques mètres de lui, dans un couloir, gisait le corps recroquevillé d’un homme.
L’inspecteur s’élança, se pencha sur lui. Atterré, il reconnut le « gorille » de service. Tout en fixant sur son visage un regard anxieux, il ausculta sommairement son thorax. Pas de blessure apparente, le cœur battait. La respiration était même normale...
Délaissant une seconde le garde du corps inconscient, Lavoine tourna la tête dans tous les sens, espérant et redoutant à la fois d’apercevoir dans un autre recoin la forme inanimée du client...