La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
No Condé Nast Publications, Inc. 1981.
No Presses de la Cité/Éditions du Rouet, 1983
Édition originale : Charter Communications, Inc.
ISBN : 0-441-74413-X
ISBN : 2-258-01264-3
PROLOGUE
Une bise implacable balayait le désert de Gobi. Harcelés par ses morsures cruelles, les yeux des soldats s’emplissaient de larmes. Le colonel Chun Li braqua ses jumelles vers l’ouest. Un soleil pâlot commençait à pointer dans son dos.
La Mongolie-Extérieure… Devenue République populaire de Mongolie, et satellite de l’URSS… C’était une réalité que Chun Li ne parvenait pas à admettre. Selon lui, les Mongols ne pouvaient accepter de bon cœur la domination de leurs maîtres révisionnistes. À la première occasion, ils les laisseraient choir pour se tourner vers la Chine, berceau de la seule doctrine socialiste authentique.
Mais cela, c’était la politique. Or ce qui, pour l’instant, préoccupait Chun Li relevait de la stratégie. Dans le courant de la nuit, une division entière avait abandonné ses postes pour regagner les casernes bien chauffées d’Oulan-Bator. Comment expliquer cette mystérieuse retraite ? Que mijotaient les Soviétiques ? À cette époque de l’année, l’essentiel de leurs activités consistait en principe à exciter les gardes-frontière chinois pour tenter de provoquer l’incident. Parfois avec succès. Les jeunes soldats, surtout, se laissaient aller à tirer. Aussitôt, c’était la riposte et quelques hommes se faisaient tuer. Quelle importance ? La Chine avait en réserve des millions, des centaines de millions d’hommes.
L’aide de camp du colonel s’approcha.
— Les troupes soviétiques délaissent la totalité de la zone désertique, annonça-t-il. Si nous entamions une avancée rapide maintenant, on pourrait penser qu’ils battent en retraite face à notre poussée.
Chun Li avait l’air songeur.
— Envahir la Mongolie…, fit-il. Bien sûr, bien sûr… Ce serait tentant. Mais non, impossible. Il s’agit d’une décision trop importante. Il faudrait un ordre de l’état-major. Je trouve toutefois une idée à exploiter dans ce que vous dites. Appelez les blindés et ordonnez-leur d’avancer de quarante kilomètres vers l’ouest. Faisons tout simplement comme si leur repli était causé par notre mouvement. Mais attention ! interdiction formelle à toutes les unités d’ouvrir le feu ou même de leur donner la chasse.
— À vos ordres ! jappa le petit homme au faciès aplati.
Puis il pirouetta sur les talons et s’éloigna rapidement vers la tente des transmissions. Chun Li reprit ses puissantes jumelles pour observer le déroulement des opérations. Le soleil s’élevait dans le ciel, sans apporter un soupçon de chaleur. Le vent glacial transperçait l’épaisse capote comme un poignard mais Chun Li s’en rendait à peine compte. Tout son être vibrait de fierté. Certes, ses hommes n’étaient pas rompus au combat mais pour la manœuvre, ils étaient remarquablement rodés. Ils l’exécutaient avec la précision d’un mécanisme d’horlogerie.
Déjà, les premiers blindés arrivaient. Un commandant de char ouvrit sa tourelle et sortit la tête pour mieux voir.
— Ils se sauvent ! hurla-t-il en laissant échapper un gros éclat de rire.
La satisfaction rayonnait sur le visage de Chun Li. Une rafale de vent lui arracha sa toque fourrée et son sourire s’effaça. Il avait l’impression que quelqu’un venait d’ouvrir la porte d’un gigantesque fourneau. La seconde rafale arriva avec un grondement semblable à un coup de tonnerre. Une rafale torride, cuisante comme un feu grégeois.
Brusquement, ce fut la fournaise. En plein hiver, au beau milieu du désert de Gobi.
Chun Li lâcha ses jumelles surchauffées et plaça ses mains en visière pour regarder ses troupes. Les soldats s’éparpillaient en hurlant et se roulaient sur le sol pour essayer d’éteindre leurs vêtements en feu.
Il y eut un nouveau souffle de chaleur, puis un autre, et un autre encore. Le colonel frappait sur les flammèches qui grimpaient le long de sa capote. Il aboyait des ordres que personne n’entendait. Le rugissement du vent couvrait sa voix. Il étouffait. La terrible vague de chaleur le vidait de son énergie. Il tomba à genoux. Il eut encore le temps de voir ses hommes décimés par les flammes, les canons de ses chars qui fondaient et se recourbaient mollement. Puis c’était le blindé tout entier qui explosait ou s’étalait en une flaque visqueuse. Un observateur cynique aurait pu comparer la scène à une toile de Dali.
Le colonel Chun Li avait compris.
— Un piège… Les Soviétiques…, murmura-t-il d’une voix rauque chargée de haine. Les chiens ! Les sales chiens…
Puis il se tut. Il était incapable de parler. De grosses pustules se formaient sur son visage et sur ses mains puis éclataient rapidement. Des lambeaux de chair se détachaient. Chun Li n’avait plus la force de lutter contre les flammes qui ravageaient ses vêtements. Il s’effondra en avant. Sa joue toucha le sol et brûla avec un grésillement affreux.
Le colonel ne vit pas la dernière vague, la plus puissante et la plus destructrice. Il ne restait plus de lui qu’un petit tas de débris calcinés.
*
* *
— Ici Goldstone Four, ici Goldstone Four, annonça la voix fonctionnelle du radio. Cible sur satellite 704. Je répète, 704. Sept, zéro, quatre…
L’homme s’interrompit au milieu de sa phrase. Il n’avait plus de contact. Brusquement, tous ses instruments semblaient déconnectés. Il tritura nerveusement une série de boutons et de manettes, lança quelques jurons puis se retourna en faisant pivoter son siège à vis. La voix fonctionnelle devint une voix furieuse.
— Dis donc, Fred ! Qu’est-ce que tu as encore fait comme connerie ? Mon matos a l’air entièrement bousillé.
— Rien du tout, répliqua vivement le nommé Fred. C’est la même chose chez moi. Je viens de perdre mon hyperfréquence au-dessus de la sierra Madré. Bon Dieu ! mais qu’est-ce qui peut bien se passer ?
Le chef de poste se leva et vint regarder par-dessus l’épaule de son subordonné. Ses yeux s’écarquillèrent. Les deux pupitres étaient hors de service.
C’était ahurissant. Le matériel coûteux était non seulement d’une extrême fiabilité mais la plus petite avarie donnait immédiatement lieu à un signal. Et vingt-trois signaux différents devaient se déclencher avant la panne complète.
— Hé, Fred, tu ne trouves pas qu’il fait un peu chaud dans la casba ? questionna le chef de poste. Je vais jeter un coup d’œil à la climatisation.
— Vas-y si ça te chante, Bobby. Mais je me demande si ça servira à grand-chose. Pour moi, tout est naze là-dedans…
Au milieu de l’hiver, les températures nocturnes étaient froides dans le désert Mohave mais, le jour, elles s’élevaient à plus de 20®. Bobby ouvrit la porte. Une bourrasque brûlante le cueillit. Ses vêtements prirent instantanément feu et il tomba en avant, mort avant même d’avoir touché le sol.
— Nom de Dieu ! s’écria Fred, regardant à l’extérieur par un petit sabord d’observation. L’antenne est en train de fondre et tout le bazar aussi !
Il n’eut pas le temps d’en dire plus. L’abri mobile explosa dans une gerbe semblable à une gigantesque éruption volcanique. Pendant quinze minutes, une pluie de débris en fusion retomba sur le sol du désert.
*
* *
Le grand homme aux cheveux blancs rugit dans son micro :
— Ici le général Denton. Je veux voir sur-le-champ cet imbécile de McLeod !
Enfoui sous la masse rocheuse de Cheyenne Mountain, le quartier général de la NORAD était garanti contre toute agression atomique, même la plus massive. Mais il n’en allait pas de même pour les postes de surveillance qui lui transmettaient leurs observations. Or, depuis un peu plus d’une heure, les stations mobiles d’espionnage électronique se taisaient l’une après l’autre. Privée de ses renseignements sur les mouvements des Soviétiques, la force de frappe US risquait fort de réagir par une attaque préventive. Cependant, avant de prendre la décision irréversible de lancer les missiles Minutemen et Trident, il fallait rassembler des informations supplémentaires. Le facteur temps jouait un rôle capital.
— Commandant McLeod, à vos ordres mon Général !
Visiblement, le jeune homme blond au regard bleu savait ce que le général attendait. Il était encore plus pâle que d’habitude.
— Alors, McLeod, annoncez ! Combien de postes ont été détruits ?
— Quatorze sur le territoire des États-Unis, mon Général, plus…
Le général Denton ne répondit pas. Il n’avait plus envie de hurler. L’air accablé, il s’assit sur le bord de son bureau. Quatre-vingt-sept postes d’espionnage électronique détruits… Cela signifiait que les États-Unis avaient perdu plus des trois quarts de leur potentiel d’écoute. Les Soviétiques n’avaient pas besoin de se fatiguer pour lancer une attaque surprise. Si l’envie leur en prenait, ils pouvaient tout aussi bien faire passer un char à bœufs à travers le réseau d’alerte avancée. Personne ne pourrait le détecter.
— C’est… c’est effarant, mon Général, bredouilla le jeune commandant. Nous avons parachuté des hommes au-dessus des postes sinistrés pour savoir ce qui était arrivé. D’après les premiers renseignements, il semble que les abris et toutes les installations aient fondu. Fondu, mon Général ! Comme des crèmes glacées abandonnées au soleil…
Le général Denton ne répondait toujours pas, laissant McLeod se débrouiller seul avec ses angoisses. Il tendit la main vers le téléphone rouge posé au bout de son bureau et décrocha d’une main tremblante. Il prit une profonde inspiration et s’éclaircit la gorge avant de parler dans le combiné.
— Ici, NORAD, général Denton. Alerte rouge, je répète, alerte rouge. Je demande une liaison immédiate avec le Président.
Puis il tourna vers McLeod ses prunelles gris ardoise. Elles étaient d’un froid polaire.
— Ordonnez une alerte de type II, lui dit-il. L’ensemble du dispositif doit être en mesure de passer à l’action sur ordre du Président.
— Très bien, mon Général ! lança McLeod en démarrant comme un pur-sang à l’ouverture des starting-gates.
Depuis le début de sa carrière militaire, il avait été conditionné pour réagir comme il le faisait à cet instant. Quelques minutes plus tard, l’appareil militaire présidentiel décollait de la base d’Andrews, en Californie, et le QG de la NORAD était prêt à ordonner le lancement des missiles nucléaires pointés sur les lointains objectifs soviétiques.
*
* *
— Mission de contrôle à navette spatiale, comment me recevez-vous ?
— Cinq sur cinq, répondit le pilote de Columbia.
Il parcourut du regard les alignements de cadrans qui clignotaient devant lui. Tout était paré pour le lancement. Malgré l’entraînement intensif qu’il suivait depuis trois ans, l’homme sentit la tension monter en lui. Il tourna les yeux sur les chiffres du chronomètre qui descendaient inexorablement vers le zéro.
— Mise à feu dans dix secondes, annonça la voix du radio. Bonne chance. Sept, six, cinq…
Rapidement, l’astronaute, vérifia à deux reprises tous ses instruments de bord. Son copilote se tourna légèrement sur son siège moulant et lui fit un signe de la main, le pouce levé.
Tous les hommes retenaient leur souffle.
Lentement, majestueusement, la navette s’éleva au-dessus de la base 38 de Cap Canaveral. Puis ce fut la catastrophe. Le pilote vit les lampes rouges s’allumer. Il essaya de bouger la main mais n’y parvint pas à cause de la pression de l’accélération. Sans en connaître la raison, il savait que les fusées porteuses avaient trop chauffé. Il était prisonnier dans l’ogive d’une énorme bombe. Finalement, l’instinct de survie lui donna la force d’actionner la commande d’éjection. Mais il était trop tard.
Au sol, le système d’intervention d’urgence était déjà déclenché. L’astronaute sentit une accélération encore plus puissante au moment où la navette se détacha des fusées. Puis il y eut un choc titanesque.
Les fusées avaient explosé, à quelques mètres au-dessous de Columbia.
Le pilote ne sentit pas l’ouverture des parachutes de secours ni le plongeon dans les flots tourmentés de l’Atlantique. Il n’avait plus sa connaissance.
CHAPITRE PREMIER
Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres agents. Est-ce qu’ils ont le trac au moment de passer à l’action ? Moi, en tout cas, quand les choses tournent rond, je suis peinard comme un nourrisson après la tétée. L’habitude. Je dois être blasé, sûrement, depuis le temps que je turbine dans ce business dément.
Je fais lentement pivoter la lunette de mon fusil et je l’arrête sur l’image d’un vieux bonhomme fatigué vêtu d’un costard gris tire-bouchonné. Les seuls points de son anatomie qui semblent bien nourris sont les énormes valoches qu’il porte sous les yeux. Il a la tête du type qui roupille depuis un mois dans sa bagnole, se coiffe avec un pétard et se rase tous les matins à la pierre ponce.
En fait, il a la tête du type qui sait que Nick Carter, tueur d’élite au service de l’AXE, a reçu l’ordre de l’abattre. J’avale une goulée d’air, je bloque ma respiration et je presse la détente. Pas besoin de coup de grâce. Je sais qu’il a son compte. Le corps s’écroule en un tas gris sur le perron de la villa.
Tranquillement, je démonte mon fusil et je le range dans sa mallette. Je suis content que ce soit fini. Je n’aime pas trop ce genre de missions. Elles me donnent l’impression de faire un carton facile dans une foire. En principe, je m’arrange pour les décliner poliment quand le boss me les propose. Mais, ce coup-ci, ça n’était pas la même paire de manches. Le vieux bonhomme que je viens d’occire avait derrière lui une carrière à rendre jaloux Amin Dada. Il s’était installé dans un grand pays d’Afrique. Non content de piller les richesses du coin et de commettre des centaines de milliers de meurtres, il avait fait l’erreur fatale. Après avoir mis en place son réseau d’espionnage, il avait communiqué aux Russes des informations leur permettant d’éliminer dix-huit agents de l’AXE en service en Union soviétique.
Et, dans les dix-huit, il y avait Barbara. Pour moi, elle était, disons… un peu plus qu’une collègue.
Je balance ma mallette dans le coffre de ma Ford de location et je rentre à la plage. Malgré le père soleil qui cogne comme une bête là-haut, je ne me sens pas vraiment radieux. Miami en hiver peut devenir une véritable poêle à frire. Ma serviette enroulée autour du cou pour ne pas faire griller mes belles épaules, je me demande si j’ai vraiment envie d’aller faire un petit plouf.
Je me tâte…
— Alors, Nick ? Tu me laisses tomber, mon chou !
Ce reproche, pas vraiment convaincu, me donne à penser que mon programme va peut-être prendre une autre tournure.
J’ai rencontré Michelle il y a deux jours juste à cet endroit de la plage. Fatiguée de la cavalcade new-yorkaise et de la tension perpétuelle que lui impose son boulot de mannequin, elle avait envie de faire un break. Elle m’a expliqué que, quitte à perdre ses cinq mille dollars de revenus hebdomadaires, elle avait préféré venir se faire bronzer une semaine sur les plages de Floride. Cinq mille dollars, ça va, ça vient, pas vrai ? Je lui ai dit qu’elle avait bien raison. Je lui ai dit des tas d’autres choses aussi, mais ça, c’est mes petits secrets.
Je tourne la tête vers le point de départ de la remarque et je m’enquiers :
— C’est toi, sous ce chapiteau géant ?
Un doigt mince et allongé soulève le bord du vaste sombrero et deux yeux pers se braquent sur moi. Superbes. On jurerait que l’océan y a fait des petits.
— Viens ici, je me sens toute seule sur cette plage, fait la pauvre petite fille riche en m’indiquant une place près de son drap de bain.
— Menteuse. Tu te planques sous cette soucoupe volante pour ne pas être perpétuellement encerclée par un rempart de gardes du corps.
— C’est vrai, ça arrive, admet la belle Brésilienne avec une candeur magnifique. Mais tous ces types m’ennuient. Manque total d’imagination. Ils ne savent rien faire d’autre que rouler les mécaniques.
Je réponds d’un haussement d’épaules sibyllin. Je pense à la mission que je viens d’exécuter et je me demande comment elle réagirait si je lui disais que je viens de descendre un type moyennant rétribution. Elle me prendrait sûrement pour un de ces jobards qui racontent n’importe quoi pour se faire mousser auprès des nanas.
— Toi, par exemple, reprend Michelle, tu m’as tout de suite plu. J’ai vu que tu n’étais pas le genre à baratiner. Tu t’es juste assis là et ça a suffi.
Elle tend la main et passe un doigt caressant sur une estafilade qui me barre la poitrine. Ça, c’est un souvenir de Tripoli, un Libyen qui a tenté une intervention chirurgicale sur ma personne. Il s’en est très mal remis.
— C’est toutes tes cicatrices que je trouve sexy, roucoule Michelle ma belle. Qu’est-ce que tu fais comme travail, Nick ? Mais pour de vrai !
— Je te l’ai déjà dit. Je suis plongeur de haute mer. Scuba, comme vous dites. Je me fais souvent griffer par des bouts de tôles ou des planches disjointes quand je vais me balader dans les épaves.
Elle fait une petite grimace sceptique. J’ajoute des détails pour essayer de la convaincre.
— Il y a aussi les récifs de corail. Je me suis blessé des dizaines de fois en les approchant de trop près. Ça fait très mal dans l’eau salée et ça laisse de vilaines marques.
— Mais c’est tellement beau, murmure Michelle en me mangeant de ses ensorcelantes prunelles.
Est-ce qu’elle parle des coraux ou de mes coutures ? Moi, les cicatrices, ça aurait plutôt tendance à me rappeler les sales coups où j’ai failli laisser ma peau. Mais bon, elles plaisent à ces dames… Dans le fond, mon dur gagne-pain me doit bien cette petite compensation.
Mais revenons-en au présent. Mes balafres plaisent à Michelle ? Eh bien, parfait. Que demande le peuple ?
— Dis donc, lance-t-elle avec un petit frémissement délicieux, tu ne trouves pas qu’il commence à faire frisquet ? Si on allait prendre un verre dans mon bungalow pour se réchauffer ?
Froid ? Ben voyons… D’après mon pifomètre, le mercure doit hésiter entre 27 et 28®. Enfin, comme je suis d’accord pour le drink, et surtout pour le bungalow, je ne relève pas. J’approuve d’un hochement de tête.
D’un geste vif, elle ramasse sa serviette et démarre comme un obus en me criant :
— Le premier arrivé a gagné !
Je me lève et je la suis sans trop forcer. Autant lui laisser le plaisir de la victoire. Moi, je me réserve celui de la regarder courir, les yeux rivés sur son valseur qui s’acquitte merveilleusement de sa tâche et valse avec une grâce proche du sublime. C’est éblouissant. Je réalise sans peine pourquoi cette grande blonde élancée arrive à prendre autant de pognon à la haute couture et aux photographes de New York.
— Battu ! fait-elle, radieuse, en refermant la grande porte du patio. Allez, viens boire ce verre pour te remonter.
Elle fait vivement demi-tour et continue en petite foulée vers le bungalow. Elle n’a pas atteint la porte que le haut de son bikini est déjà dégrafé. Arrivée dans l’entrée, elle se retourne vers moi. Le mouvement fait joliment balancer ses seins et j’ai l’impression que leurs petites pointes dressées tracent dans les airs deux points d’interrogation très coquins. Michelle passe le bout de la langue sur le pourtour de ses lèvres et, d’un ton presque belliqueux, demande :
— Monsieur désire ?
— La même chose que Mademoiselle, fais-je en posant ma serviette et en m’installant dans une chaise longue.
— Très bien, répond Michelle. Ce sera deux punchs.
Puis elle pirouette sur place, passe les pouces dans la culotte de son maillot et se penche en avant pour s’en débarrasser. J’ai l’honneur d’admirer deux sœurs jumelles d’une superbe couleur chocolat clair. Michelle, est une adepte du bronzage intégral. Elle balance la culotte dans la pièce et disparaît par la porte de la kitchenette.
Deux minutes plus tard, elle revient, un verre dans chaque main. Cette fois, j’ai l’avantage d’admirer le côté face. Je connais déjà, c’est vrai… Mais je crois qu’il me faudra un certain temps pour m’en lasser.
C’est prodigieux, elle se comporte en tenue d’Ève avec le même naturel que si elle était habillée. Sans se dissimuler faussement et sans poser non plus. L’habitude, sans doute. Dans son boulot, ça doit lui arriver plutôt deux fois qu’une de se décarpiller devant tout le monde. À moins que ce ne soit pour mieux m’émoustiller. En tout cas, si c’est ça qu’elle cherche, elle a gagné. Heureusement, je tape toujours dans la qualité quand j’achète mes frusques. Pour l’instant, le tissu de mon maillot de bain résiste vaillamment à la forte pression intérieure qui lui est imposée. Pendant que Michelle me tend mon punch, ses yeux pers me soumettent à une revue de détail.
— Tu n’as pas l’air à ton aise, mon pauvre chou, observe la gracieuse psylle en se renversant face à moi dans une autre chaise longue.
Elle avale une petite gorgée de punch, fait claquer sa langue puis coince le verre entre ses cuisses. Elle me regarde fixement. Moi, je suis littéralement hypnotisé par les mouvements du liquide orangé qui oscille au milieu de la touffe couleur sable.
Brusquement, je suis pris d’une soif à boire la mer avec tous ses poissons.
Je descends mon glass cul-sec et je le pose sur une petite table. Je me sens de plus en plus à l’étroit dans mon slip.