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No Condé Nast Publications, Inc. 1981
ISBN : 0-441-67081-4
No Presses de la Cité / Éditions du Rouet, 1982
ISBN : 2–258–1104-3
Édition originale : Charter Communications, Inc.
PROLOGUE
L’homme, la future vingt-quatrième victime, regarda de chaque côté, avant de traverser cette rue de Londres sombre et humide. Il allait rencontrer un informateur qui devait lui donner des renseignements concernant un chargement de drogue. Une cargaison de plusieurs millions de dollars qui, de Londres, repartait vers les États-Unis.
Mais, c’était avec sa propre mort qu’il avait rendez-vous. Elle l’attendait dans une impasse silencieuse et lugubre.
La vingt-quatrième victime portait un poignard dissimulé dans un étui serré à son poignet. L’homme se sentait en confiance. Avec son arme, il pouvait faire face à n’importe quel danger. Peut-être était-il même trop sûr de lui. Le maniement du couteau était sa spécialité et, quand il l’avait sur lui, il n’avait peur de rien. Dans le monde de l’espionnage, il avait la réputation d’être l’une des meilleures lames, sinon la meilleure.
Avec sa main gauche il vérifia son arme juste pour se rassurer. Il avança dans la ruelle, tendant l’oreille. Il n’entendit que les dernières gouttes de pluie tombant du toit sur le pavé et le bruit de ses pas qui s’engageaient de plus en plus profondément dans la nuit, jusqu’à un cul-de-sac faiblement éclairé.
Il était certain d’être le premier.
Il se trompait.
Une silhouette dissimulée dans une porte cochère l’observait, silencieuse et immobile. Elle attendait patiemment. Pour éprouver les nerfs de sa victime. L’homme embusqué avait l’intention de battre son rival sur son propre terrain. Avec un poignard. Pour cela tout avantage était bon à prendre. Et plus l’autre serait nerveux, mieux ça serait.
La victime désignée avait envie d’une cigarette, mais connaissait suffisamment le métier pour ne pas en allumer une. Il saurait s’en passer. Il était à l’heure, mais son contact ne s’était pas montré. Il ressentait une double contrariété : la privation de cigarette et un rendez-vous qui n’était pas là.
Ou qui ne viendrait pas.
Cinq minutes passèrent.
L’homme en noir sortit de la porte cochère, frottant sa semelle sur le bitume pour annoncer sa présence.
La victime se retourna, écarquillant les yeux, sur le qui-vive.
— Qu’est-ce que vous voulez ? s’écria-t-il. Quelle discrétion ! Ça fait longtemps que vous êtes là ?
L’homme ne répondit pas. On ne distinguait pas son visage. Il n’était qu’une ombre.
— Vous êtes muet ? demanda la victime.
— Vous êtes un homme mort, répondit l’ombre.
— Qu’est…
Soudain il aperçut un détail. Un détail familier.
Il savait à quoi ressemblait un couteau luisant dans un rayon de lune.
Immédiatement son poignard surgit, bien calé dans sa main.
— Vous avez fait une erreur, dit-il à la silhouette noire en face de lui, vous avez mal choisi votre arme.
Sans répondre, l’homme commença à avancer.
Solidement campé sur ses jambes, il tenait son couteau, sans faire de mouvements inutiles. Ceux qui bougent sans cesse leur arme ne savent pas s’en servir.
La silhouette avançait toujours, son arme luisant dans la nuit. Apparemment il savait très bien l’utiliser ce qui rendait la situation plus intéressante.
Il se promit de faire les poches de son adversaire une fois celui-ci définitivement hors de combat. Mais il y avait de fortes chances pour qu’il n’y trouve rien. Ce type était aussi un professionnel.
Il n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps. Trop sûr de lui, il ne vit pas arriver le couteau de son adversaire, qui se planta dans son ventre jusqu’à la garde.
Comment cela s’était-il passé ? se demanda-t-il en tombant sur le pavé mouillé. Comme il embrassait le sol froid, une douleur fulgurante fouilla ses entrailles. Il pensa : Voilà ce qu’ils ressentaient, tous les autres, voilà ce qu’ils ressentaient avec son couteau dans les tripes…
S’il avait su combien c’était horrible, s’il avait seulement su ce que c’était de tomber, il aurait eu un peu plus de compassion autrefois…
… Nom de Dieu, que ça fait mal…
… C’est ce qu’on appelle… mourir…
… Merde…
Le tueur empocha ses honoraires pour la vingt-quatrième victime quelque part sur un pont d’une des plus grandes villes du monde.
De nouveau, il faisait nuit. Le tueur n’existait que dans l’obscurité. Tous les meurtres avaient été exécutés dans l’ombre.
— Nous avons un autre contrat, lui dit-on, pendant qu’il comptait l’argent. Double tarif cette fois-ci.
Aucun d’eux ne pouvait voir le visage de l’autre. Deux voix désincarnées faisant la conversation.
Celle du client était neutre, sans inflexions ni accent particuliers. Il lui avait certainement fallu des années d’entraînement pour se forger une voix semblable.
La voix du tueur était légèrement grinçante, comme pour masquer sa véritable tonalité.
— Le nom ? demanda le tueur. Qu’a-t-il de spécial pour que vous doubliez la mise ?
Il prononçait chaque mot et chaque syllabe de telle façon qu’il était impossible de reconnaître sa voix.
— Je ne pense pas que vous ayez déjà rencontré un type comme ça, expliqua le client.
Le tueur mit l’argent dans une enveloppe et dit :
— Ils sont tous pareils, et finissent tous de la même façon.
— Pas celui-là, répliqua le client. Pour lui nous voulons que ce soit violent, radical et que tout le monde sache que c’est votre œuvre.
— Le nom ?
— Si vous êtes le meilleur dans votre domaine, il est, lui, le meilleur dans le sien. Il a été dans ce petit jeu un modèle du genre et depuis plus longtemps que vous. Il a un palmarès et une réputation impeccables. Il se mêle un peu trop de nos opérations et nous ne pouvons plus le tolérer. Nous devons définitivement l’écarter et nous ne voulons pas que cela ait l’air d’être un accident.
Le tueur commençait à trouver le contrat très intéressant. Quelque chose de spécial pour la victime numéro vingt-cinq, c’était très tentant. Les cinq derniers avaient été faciles, trop faciles, même le dernier qui avait été décevant. Cet homme avait eu, lui aussi, une réputation. Et maintenant, il était mort.
Un adversaire à sa hauteur, voilà ce que le tueur désirait. Et quelque chose de spécial.
Le tueur n’était pas seulement un vulgaire homme de main. Il était aussi un artiste qui avait un faible pour la perfection. Quand le couteau s’était enfoncé jusqu’à la garde dans le ventre de la victime numéro vingt-quatre, il avait goûté les joies de la perfection.
— Très bien, dit-il, qui est-ce ?
Le tueur sentait bien que son interlocuteur l’avait fait attendre pour lui ménager une révélation de poids. Il ne fut pas déçu.
— Nick Carter, dit le client, son nom est Nick Carter.
Le tueur ne s’était pas trompé. C’était parfait et… spécial.
Lui qui était connu sous le nom du Spécialiste avait enfin un adversaire à sa taille.
Et le Spécialiste contre le Maître-tueur[1], c’était vraiment spécial.
CHAPITRE PREMIER
QUATRE ANS PLUS TÔT
Un record de plus ! annonça le chronométreur une fois mon parcours achevé.
Bien que le nom du parcours soit le « Parcours de l’Axe »[2], il n’en était pas moins ouvert aux membres d’autres agences de gouvernements alliés pour l’entraînement de nouvelles recrues ou la remise en forme des plus anciens. Pour moi c’était une petite sortie. Comme je le fais chaque année et – sans vouloir me voter pour cela des félicitations – j’avais battu mon propre record. Bonne affaire.
J’éjectai le chargeur vide de mon arme et remis le tout à Adams pour qu’il puisse le recharger et le donner au prochain concurrent.
Ce qui s’installait à cet instant dans mon esprit était une blonde. Il y avait plusieurs agents attendant leur tour pour concourir et la blonde était du lot. Elle était jeune, peut-être dans les vingt ans et vraiment très jolie. Elle attendait son tour, très détendue. Mince et grande elle arborait une jeune poitrine très fière et de longues jambes.
J’observais Adams lui tendre une arme chargée qui me paraissait bien grande pour sa main. Elle vérifia l’arme avant de faire signe à Adams qu’elle était prête. Il lui donna le signal et elle partit.
L’épreuve était une sorte de parcours du combattant, mais pour des combattants de notre espèce et non celui qu’utilisent généralement les soldats. Il consistait en un ensemble de portes et d’allées avec des adversaires en carton. Un système électronique marquait tous les coups réussis ainsi que ceux que vous étiez censé encaisser.
Elle parcourut son circuit avec un sang-froid remarquable, ne manquant qu’une des cibles en évitant toutes les tentatives ennemies. Son temps était excellent, le meilleur après le mien. À ce point du concours, j’étais le seul à avoir couru sans manquer une seule cible et sans m’être fait toucher.
Elle revint reporter l’arme à Adams qui hochait la tête en connaisseur. Il n’avait jamais vu une femme réaliser un pareil score. Apparemment, elle n’était pas contente de sa performance et je savais pourquoi.
Je m’approchai d’elle et dit :
— Très impressionnant !
Elle me montra le revolver qui était de nouveau chargé et affirma :
— Il est mal équilibré. Je n’aurais pas dû manquer ce tir.
De nouveau j’étais très impressionné. J’avais moi-même remarqué le manque d’équilibrage de l’arme, mais j’avais fait avec. Je savais que c’était ça qui lui avait fait rater sa cible.
— Vous auriez dû compenser vous-même, lui dis-je.
Elle me regarda avec intensité puis baissa la tête en signe d’affirmation, réalisant que j’avais raison.
— C’est vrai, dit-elle, j’aurais dû. Vous êtes Nick Carter, n’est-ce pas ?
— Pour vous servir, répondis-je. Et votre nom c’est…
— Casey, Casey Lawrence. J’ai pas mal entendu parler de vous pendant l’entraînement. C’est vrai tout ce qu’on raconte sur vous ?
— Possible, admis-je en riant, mais pas probable. Vous êtes nouvelle dans le métier ?
Elle haussa les épaules.
— Disons que vous pouvez considérer mon parcours comme mon premier grade, admit-elle.
— Dans quelle branche voulez-vous vous diriger ?
Elle m’expliqua qu’elle voulait maintenant se diriger dans une branche opérationnelle des services secrets gouvernementaux.
Lui rappelant le parcours, je lui conseillai :
— Si vous savez garder votre sang-froid dans une opération comme vous venez de le faire ici, vous améliorerez votre coefficient de sécurité. C’est important de le conserver jusqu’au moment où vous aurez envie de tout lâcher, ou de démissionner.
— Vous l’avez conservé, vous ? demanda-t-elle.
Je me mis à rire.
— Moi, j’aurais dû démissionner depuis bien longtemps, mon coefficient de sécurité est nul.
— Ah bon ! Mais vous êtes Nick Carter et vous ne faites confiance qu’à vos propres critères, n’est-ce pas ?
— J’essaye, répliquai-je en me jurant de savoir ce que ces jeunes blancs-becs pouvaient bien raconter sur mon compte. Pourrais-je vous inviter à dîner ce soir pour célébrer votre nouveau grade ? ajoutai-je en souriant.
Elle était sur le point de répondre quand un jeune homme de haute taille s’approcha et l’interrompit. Il était un peu plus grand que moi et mince. Il se déplaçait avec une souplesse d’athlète, mais l’expression de son visage dénonçait une arrogance et une suffisance immodérées.
Je me demandai si j’avais été aussi arrogant à son âge. En tout cas, il n’avait pas besoin de le mettre sur une carte de visite…
— Bravo, quelle démonstration, Casey ! Qu’est-ce que vous en dites, papa ?
— Allan, je te présente Nick Carter, dit Casey. (Puis se tournant vers moi, elle ajouta :) Nick, voici Allan Trumball. Il a été reçu lui aussi aujourd’hui.
— Bien, très bien, marmonna Trumball tout en me détaillant de la tête aux pieds. L’immortel Nick Carter. Vous vous portez pas trop mal pour un type de votre âge.
Je l’ignorai et, me tournant vers Casey, je lui demandai :
— Alors d’accord pour ce soir ?
— Hé, dis donc, Casey, je croyais que nous devions sortir ce soir ! s’écria Trumball.
— Tu le pensais, mais je n’ai jamais dit que c’était d’accord.
— Tu ne vas pas sortir avec lui, tout de même ? (Et se tournant vers moi il ajouta :) Ne le prenez pas mal, Carter, mais ce soir elle doit plutôt sortir avec quelqu’un de son âge. Vous voyez ce que je veux dire… (Il fit un clin d’œil avant de poursuivre :) Elle est un peu jeune pour vous, vous ne croyez pas ? Et puis je pense que vous ne saurez pas y faire.
Casey serra fermement ses poings sur ses hanches et l’apostropha :
— Et toi, tu crois savoir. Tu n’aurais pas tendance à prendre tes désirs pour des réalités, Allan ?
— Non, répondit-il, et je suis persuadé que je suis plus capable que ce vétéran.
Je ne suis pas du genre à m’énerver facilement, mais je décidai de lui donner une bonne leçon de modestie. Avoir confiance en soi c’est bien, mais en avoir trop raccourcit une carrière dans notre métier.
— Trumball ! C’est à vous ! annonça Adams.
Trumball se retourna et fit signe qu’il avait entendu. Puis il me fit face et me dit :
— Regarde un peu ça, papa.
— Écoute-moi, lui dis-je en le prenant par le bras, aussi bon que soit le parcours, il ne te prépare pas pour les choses sérieuses. Ce n’est qu’une course contre la montre et un échec ne coûte rien.
— Qu’est-ce que vous êtes en train de me proposer ?
— On fait le parcours ensemble, et on parie un petit quelque chose.
— Quel est l’enjeu ? demanda-t-il, visiblement trop heureux de se mesurer à l’imbattable Nick Carter. Non seulement vis-à-vis de Casey, mais aussi parce qu’il avait un léger retard sur elle.
Si Casey avait été un peu distante avec lui jusqu’à maintenant, il espérait sûrement que j’allais lui fournir une bonne occasion d’améliorer sa position auprès d’elle.