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Easter Rising et Bloody Sunday: histoire et discours

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  1.2. HISTOIRE ET MEMOIRE. EASTER RISING ET BLOODY SUNDAY COMME EVENEMENTS DE L'HISTOIRE.
  
  La présente recherche est consacrée à la représentation de deux événements importants de l'histoire irlandaise ; le premier, Easter Rising (le Soulèvement de Pacques) survenu le 24 avril 1916, et le deuxième, Bloody Sunday (Le Dimanche Sanglant), le 30 janvier 1972.
  Etrangement, dans cette étude nous présentons deux événements appartenant à deux cultures irlandaises différentes, à deux Irlandes différentes dont l'expérience a divergée le jour de la signature du Traité ; pourtant, l'on constate la contiunité du discours nationalistes irlandais du Rising jusqu'à l'époque moderne.
  Ce que l'on appelle est une tentative d'insurrection des groupes nationalistes irlandais pour une ' République Irlandaise ', qui s'est déroulée à Dublin durant les Pacques de 1916, et qui, au bout de six jours, a été violemment réprimée par les forces britanniques.
  L'autre événement dont nous observerons la mise en discours, appelé Bloody Sunday (s'est produit un demi-siècle plus tard, dans l'Irlande du Nord, quand l'armée britannique appelée en Ulster pour assurer l'ordre dans les zones du conflit, a ouvert le feu sur les participants d'une manifestation pour les droits civils, faisant 14 victimes.
  Dans le cas du Rising, il s'agit d'un événement fondateur, car cette insurrection a bouleversé l'opinion publique des Irlandais qui, quelques 3 ans plus tard, ont déclenché une guerre contre les Anglais, aboutissant à la création de la République d'Irlande.
  Le Bloody Sunday est perçu avant tout comme un événement traumatisant, où la souffrance du massacre était aggravée par les mensonges des autorités.
  Dans les deux cas, il s'agit d'un événement pivot, un élément qui change le cours de l'histoire qui l'engendre. Comme en témoignent les historiens irlandais, 'on the wider scale of conflict in Northern Ireland, Bloody Sunday was not necessarily the most significant event but, arguably, was one of a small number of points from which the subsequent system-wide pattern was generated'. Quant à l'Easter Rising, les historiens le qualifient du 'point de depart pour toute l'histoire Irlandaise ultérieure '
  Dans les deux cas, cet événement s'inscrit dans l'éternelle confrontation entre les Irlandais et l'Etat de Grande-Bretagne (même si la tragédie du Bloody Sunday s'est produite dans le contexte de l'opposition ' catholiques - protestants ', les acteurs de cette tragédie ont été les forces spéciales britanniques, d'un côté, et les Irlandais catholiques, de l'autre. Selon Tom Herron et John Lynch, le Bloody Sunday est devenu ' a microcosm, a symbol of what Britan does in Ireland ' ). L'identité qui s'est formée sur cet antagonisme était bien irlandaise...
  Selon certaines opinion le Bloody Sunday, est, en quelque sorte, la conséquence de l'Easter Rising, car après le Rising, l'Irlande s'est tournée vers la guerre qui s'est achevée par la création du Free State (Etat Libre, devenu ensuite la République d'Irlande), produisant une fissure entre l'Irlande désormais libre et les six comtés restés sous l'autorité de la Grande Bretagne. Cela a élargi la brèche entre les protestants et les catholiques restés en Irlande du Nord. C'est cette brèche, plutôt qu'aucune autre scission, qui sort au premier plan dans l'Irlande du XXe siècle. C'est cette brèche qui sera finalement la cause des événements du Bloody Sunday. Certains révisionnistes résument même que c'est le Rising qui a provoqué les Troubles en Ulster, justement par sa narration qui a enseigné aux Nordistes le nationalisme implacable, l'irrationalisme et la violence, comme l'observe, par exemple, Seamus Deane dans sa critique de l'ouvrage révisionniste de Roy Foster (Modern Ireland 1600 - 1972): 'The legacy of the Rising is the Northern crisis. The North can read the South; the South cannot read the North. ' .
  L'Easter Rising et le Bloody Sunday sont aussi unis par leur symbolisme religieux et leur appartenance à la culture catholique. En effet, il s'agirait, dans les deux cas, du martyre, du meurtre des innocents. Et même si les leaders du Rising sont loin d'être innocents, la réponse des Anglais à cette insurrection, que beaucoup ont jugé exagérée (surtout, du point de vue de la disproportion numérique des forces britanniques et irlandaises), et l'exécution des leaders jugée trop violente, a vite fait des organisateurs du Rising des martyrs pour l'Irlande.
  Ces deux événements ont en commun le problème de la narration. Pour le Bloody Sunday, on remarque la difficulté de trouver une narration qui satisferait les deux parties (' difficulties to establishing a narrative that can be credibly presented to all the parties involved ' ). L'appropriation du discours par les instances officielles a été la deuxième blessure infligée sur les habitants de Derry, après les coups de feu. Pour l'Easter Rising, la narration a été exagérée, mythologisée par des années de commémoration, reprise et réutilisée dans des buts propagandistes. Quand on approche la question de la narration, on se retrouve inévitablement face à une ' position officielle ' qui déterminerait la version narrative imposée au public. Dans le cas du Bloody Sunday, c'est la version adoptée par l'Etat de Grande-Bretagne ; pour l'Easter Rising, on pourrait parler de celle qui régnait durant les années De Valéra. Une version qui, devenant trop rigide, peut susciter des formes d'opposition narrative (littéraire). Que cette narration s'appuie ou non sur la version officielle, c'est elle qui sera exploitée ensuite, comme les membres de l'IRA provisionnelle exploitaient la réthorique de l'Easter Rising pour légitimiser leurs actions.
  Cette difficulté de la narration s'inscrit dans le problème de ' discours entravé ' (obstructed discourse) en Irlande, dont parle Ella O'Dwyer dans The Rising of the Moon qui prendrait origine dans un silence imposé comme forme d'obéissance sur un état enfant (une colonie) par l'état parent comme condition du fonctionnement durable de l'empire, d'un côté, et de la volonté de la ' culture résistante ' (Resistance Culture, terme de Saïd, 1993) de briser ce silence et cette obéissance. Ces deux courants opposés créent une contrainte pour le poète qui ne sait plus en quels termes s'exprimer: ' how to reconcile the inevitable violence of the colonial conflict with the everyday politics of an ongoing national struggle [...] '. Cette question de silence dans la littérature nous intéresse particulièrement, car le silence sous-entend l'anonymat : comment un nom de mémoire fonctionne-t-il dans cette condition ?
  Dans ce chapitre, notre but n'est pas de raconter en détails les deux événements sur lesquels beaucoup a déjà été écrit, mais d'en donner une représentation sous le prisme de leur importance culturelle. Nous voudrions démontrer qu'il s'agit de deux événements très différents, avec les caractéristiques et les répercussions différentes, mais qui ont en commun de devenir des éléments-clés de la culture et d'importants exemples d'événements générant un discours qui ensuite aura l'influence non seulement sur la manière de représenter l'événement, mais sur la manière d'agir.
  
  1.2.1. PRECIS DES OUVRAGES CONSULTES
  
  Il convient de préciser le choix d'ouvrages historiques que nous avons consultés lors du travail sur ce chapitre. Dans cette partie de la recherche, nous nous sommes posé un triple objectif : d'abord, éclaircir le lecteur sur le déroulement des deux événements en question et leur perspective historique ; ensuite, analyser leur impact sur le discours historique et politique en Irlande ; et, enfin, en nous appuyant sur la description de ces événements faite par des historiens, établir un provisoire ' paradigme nominal de mémoire ' lequel nous permettra de tracer un champ des NM que nous étudierons dans les parties suivantes de la présente thèse.
  La liste des textes consultés se subdivise donc en deux groupes :
   Les ouvrages historiques proprement dits qui décrivent l'événement lui-même, comme The Story of the Easter Rising de John Dorney, The Easter Rebellion de Max Caulfield, ou encore, The Rising: Ireland, 1916 de Fearghal McGarry ; Insurrection Fires at Eastertide, un recueil des textes très informatif et offrant différentes perspectives du Rising ; The Bloody Sunday Inquiry d'Eamonn McCann, The Eywitness Bloody Sunday de Don Mullan, notre ouvrage de référence pour ce chapitre.
   Les ouvrages qui se penchent sur les conséquences et la représentation de l'événement, comme Dublin 1916 de Clair Wills, qui touche non tant à l'Insurrection elle-même qu'à son rôle dans la société irlandaise ; After Bloody Sunday : Representation, Ethics, Justice, ou un livre très intéressant qui montre ' de l'intérieur ' la communauté protestante de l'Ulster, The Ulster Question since 1945 de John Loughlin.
  Nous distinguons aussi, parmi les ouvrages historiques, une sous-catégorie de textes que l'on qualifierait aujourd'hui de ' docu-fiction ' qui nous a surtout été utile dans la construction des paradigmes nominaux : ces textes présentent l'événement avec la part d'émotionnel et de subjectif nécessaire pour que l'on puisse relever des noms qui deviendraient plus tard des NM. Pour ceci, nous avons tenu de consulter The insurrection in Dublin de James Stephens et Sean O'Casey's Easter, tous les deux auteurs étant contemporains à l'événement, et offrant une perspective mi-historique, mi-littéraire du Rising ; pour le Bloody Sunday, les ouvrages de Raymond McClean., The Road to Bloody Sunday, et de Peter Pringle et Philip Jacobson, These are real bullets, montrent ' en direct ' les événements de cette tragique journée.
  Nous avons également consulté des documents en ligne, notamment, pour les rapports de Lord Widgery et de Lord Savill qui se trouvent à présent en libre accès sur Internet.
  
  1. 2.2. EASTER RISING : LES PREMISSES DE L'INSURRECTION.
  
  L'Insurrection des Pâques n'a été qu'une des plusieurs rébellions contre les autorités britanniques, que l'Irlande a connu depuis la conquête de l'île par les Anglais. Ce n'était pas une large insurrection (la majorité des opérations se sont déroulées à Dublin, même si à l'origine les insurgés avaient planifié des interventions dans d'autres villes d'Irlande) ; sur le plan militaire, c'était un échec. On se demande donc pourquoi cet événement s'est gravé avec une telle force dans la mémoire et dans le discours constitutif de la République d'Irlande.
  Obtenir une autonomie de l'Angleterre a été une ambition essentielle des politiciens irlandais pendant des siècles. L'Union avec l'Angleterre signé en 1800 faisait régulièrement objet de l'opposition pacifique menée par des hommes publics tels que Daniel O'Connel et Charles Parnell, mais aussi, d'insurrections armées ou de guérillas comme celle des Fenians. A la fin du XIXe siècle, les efforts de Parnell pour obtenir l'autonomie par la voie constitutionnelle ont porté leurs fruits ; d'abord, les Irlandais, fatigués des conflits et affaiblis par la Famine, étaient favorables au moyens pacifiques d'autonomisation; ensuite, les autorités britanniques, impressionnées par un fort support public aux projets de O'Connel et de Parnell, ont commencé à considérer sérieusement le Home Rule (projet de l'autonomie de l'Irlande à l'intérieur du Commonwealth britannique). En 1905, Arthur Griffith a créé un parti nommé Sinn Fein (' nous-mêmes ' en irlandais), qui conduisait le débat sur le terrain législatif. Il soutenait que l'Acte de Renonciation, signé en 1782, reconnaissant le droit des Irlandais d'obéir uniquement au Parlement de l'Irlande et au Roi, n'a jamais été révoqué. Son parti a ensuite entrepris à boycotter le Parlement à Westminster. Un autre mérite important de Sinn Fein était l'élaboration d'une autre image de l'Irlande que celle à laquelle tous étaient habitués : Griffith appelait à ne plus la considérer en tant que pays agraire, mais comme un pays industriel. Il a aussi essayé d'imposer une image modernisée de l'Irlandais : ' Ireland is truly no longer the Gaelic nation of the twelfth or even the eighteenth century [...] 'The Gael is gone, the Dane is gone, the Norman is gone and the Irishman is here ' .Tout de même, Grifiith n'était pas l'acteur principal de l'autonomie irlandaise, d'autant plus que le support populaire de Sinn Fein a chuté en 1910, et Griffith ne s'appuyait plus que sur quelques intellectuels. C'est un autre parti, Irish Party, celui de John Redmond qui, dans la première décennie du XXe siècle, s'est rapproché le plus du Home Rule. En effet, la proposition de révoquer l'union entre l'Angleterre et l'Irlande a été introduite au Parlement, et l'Acte de Parlement adopté en 1911, a rendu possible la ratification du Home Rule. Ce sont les Unionistes, et non pas les Nationalistes qui, se sentant en danger devant ce projet de la séparation du Westminster, se croyant trahi par le gouvernement, ont commencé les premiers à se ressembler et à s'armer, prêts à agir d'eux-mêmes si l'Etat ne se prononçait pas contre l'autonomie. Les unionistes ont fondé leur propre force armée : Ulsteer Volunteer Force, l'UVF. C'est la rébellion loyaliste qui était considérée comme une vraie menace avant le début de la Première Guerre mondiale.
  Tout a changé avec le début de la Première Guerre Mondiale. Comme l'Angleterre se retrouvait en état de guerre, la situation en Irlande qui avait semblé critique quelques semaines avant, est passée au second plan. Le projet du Home Rule s'est retrouvé suspendu au Parlement : plus encore, il est devenu un levier avec lequel les autorités anglaises ont essayé de relever l'enthousiasme des Irlandais, afin de les recruter dans l'armée britannique. De l'autre côté, les nationalistes se sont souvenus du vieil adage disant que les difficultés de l'Angleterre faisaient l'opportunité pour l'Irlande. En 1913, deux organisations de défense civile ont été créé en réponse à l'UVF : Irish Volunteers et, plus tard, Irish Citizen Army . La force motrice des nationalistes demeurait l'IRB, une organisation secrète formée en 1858 dont le but principal était d'obtenir l'indépendance de l'Irlande.
  Le recrutement des Irlandais dans l'armée britannique a créé un nouveau terrain d'opposition. John Redmond et ses partisans, d'un côté, et les unionistes d'Ulster, de l'autre côté, considéraient cette guerre comme un moyen de faire pencher la balance de Westminster de leur côté. ' Ulster will strike for England, and England will not forget! ' , promettaient les unionistes. Quant au nationalistes, selon W. Hutchinson, la plupart d'eux croyaient le Home Rule chose acquise, et dans ces conditions étaient prêts à combattre à côté des Anglais .
  Les historiens témoignent que la guerre a servi à unifier le peuple, et que la majorité des Irlandais ont volontairement consenti à se battre. En effet, la majorité des Irish Volunteers, devenus National Volunteers, ont rejoint l'armée britannique. Ceux qui n'ont pas voulu participer, restaient en minorité :' [...] only a tiny, excentric collection of irreconcilables dissented from the majority'. Cette minorité se composait de nationalistes qui se méfiaient des promesses anglaises et cherchait à mettre la situation difficile de l'Empire à son profit. Ils ont vu d'un mauvaise œil l'initiative de J. Redmond d'encourager l'enrôlement.
  Aussitôt après le début de la guerre, les nationalistes ont commencé à planifier une insurrection. Ils comptaient sur le soutien éventuel des Allemands. Le projet était lancé par le Conseil Suprême de l'IRB, ses chefs avaient été élus parmi les Irish Volunteers ; plus tard, un Comité Militaire a été formé à l'intérieur de l'IRB. (Les Volunteers se sont trouvés fort affaiblis suite aux démarches de J. Redmond). Cette comité pouvait agir indépendamment du chef des Volunteers, Eoin MacNeill qui, ne consentait à une insurrection armée qu'au cas où les Anglais introduiraient la conscription ou attaquerait directement les groupements nationalistes. Il a finalement refusé à participer au Rising. Une autre force, l'ICA, conduite par James Connolly, les a rejoints plus tard, en 1915.
  Toutefois, à la veille du Rising, l'humeur en Irlande n'était pas à la révolution, comme en témoignent plusieurs historiens. La vague du nationalisme s'est apaisée, obnubilée par la Première Guerre mondiale, dont les Irlandais avaient pleuré les premières victimes.
  De l'autre côté, les insurgés eux-mêmes ont failli renoncer à leur projet : la veille des Pacques, ils ont appris que le bateau allemand amenant les munitions, avait été intercepté par les services britannique, et que Roger Casement, dont la mission était d'obtenir de l'aide des Allemands, avait été arrêté. Cette nouvelle a fait sortir du jeu définitivement Eoin McNeil qui croyait que l'insurrection était un projet déplacé, moralement injustifié ; il a donc rappelé ses Irish Volunteers. A ce moment-là, le ' comité militaire ' de l'IRB s'était établi à l'intérieur des Volunteers afin de pouvoir les commander par-dessus leur chef ; la conspiration s'était créée pour qu'Eoin McNeil ignore l'opération au même titre que les Britanniques. Or, McNeil a eu vent du projet et, au début, s'est laissé convaincre par les autres leadeurs du Rising qui ont utilisé pour le persuader une lettre du Dublin Castle où il s'agissait de la suppression éventuelle des Volunteers. La lettre se serait révélée fausse ; cette fraude, ensemble avec la nouvelle de l'aide allemande interceptée, l'ont fait changé d'avis, ce qui a condamné les insurgés d'emblée; car, au lieu d'avoir 16 mille Volunteers à leur actif, les leaders du Rising n'en avaient plus que quelque 1600. Malgré tout, ceux-ci ont décidé d'agir, en remettant le début de la Rébellion à Lundi de Pâques.
  
  1.2.2.1. LES SIX JOURS QUI SECOUERENT L'IRLANDE
  
  Les forces républicaines rassemblées ce Lundi de Pacques comprenaient donc ce qui restait des Irish Volunteers, ainsi que les combattants de l'ICA et de sa branche féminine Cumann na mBan (Conseil des Femmes Irlandaises) conduite par Constance Markievitch. Les chiffres que l'on donne varient quelque peu: W. Hutchinson parle de ' quelques 1500 insurgés ' , John Dorne dans ' The Story of the Easter Rising ' évoque ' approximatively 1,200 armed Irish Republican separatists of the Irish Volunteers ' , John Murphy, dans la préface de The Insurrection in Dublin de J. Stephens, ' 1,300 or so Volunteers [...] joined by a couple of hundred from James Connolly's Irish Citizen Army ' .
  On souligne inévitablement l'infériorité non seulement numérique des insurgés, mais également, l'infériorité dans l'équipement, l'expérience...
  Fewer than a quarter of these men and boys, however, were clad in the dark green of the Citizen Army or the heather-green of the Irish Volunteers. One or two had tried to give themselves a military appearance of sorts by covering their legs with puttees; some had donned riding breeches, but the best most of them had been able to do was to sling a bandolier over the right shoulder or wear a yellow brassard upon the left arm. Their armaments, too, looked astonishingly primitive .
  Toutefois, la discipline ne manquait pas à ces troupes. Leur sortie était déguisée en manœuvres ; ces jours-là, à Dublin, on en avait l'habitude. Tranquillement, les détachements insurgés ont avancé vers les deux essentiels points stratégiques de cette rébellion : la Poste Centrale et le parc de St Stephen's Green. Vers midi, la Poste a été prise d'assaut, et Patrick Pearse a lu sur les marches du bâtiment la Proclamation de la République d'Irlande (Poblacht na hEireann).
  Après avoir lu plusieurs ouvrages parlant de l'ER, études historiques, biographies, recueils de témoignages, nous avons remarqué que la réaction du public est partout peinte de la même couleur : celle de l'indifférence, d'hostilité, et surtout, d'incompréhension. Patrick Pearse a eu beau lire la Proclamation de la République sur les marches de la Poste centrale (General Post Office) de Dublin, les badauds qui s'assemblaient devant y prêtaient peu d'attention.
  When, on Easter Monday 1916, a small group of Irish separatists occupied the General Post Office in Dublin and called upon Irishmen to rally in support of the Irish Republic, few of the spectators can have realized that they were witnessing a turning-point in the history of their country .
  La foule, selon les journaux, avait son intérêt ailleurs :
  [...] the majority of people paid little attention to the doings of the rebels, and preferred the more practical process of looting.
  Cette Proclamation poursuivait pourtant un but : celui d'imposer la virtualité de la République Irlandaise en tant que réalité. Cela a créé l'illusion de la possibilité de cette République, mais aussi, cela a conféré aux insurgés un simulacre de la légitimité, en particulier, pour avoir une justification rétrospective du recours aux armes, comme, par exemple, il a été proclamé lors de la première session du Dail Eireann, Parlement irlandais : ' [...] the Irish Republic was proclaimed in Dublin on Easter Monday, 1916, by the Irish Republican Army acting on behalf of Irish people ' .
  S'étant emparé de la Poste, les insurgés ont commencé à dresser des barricades et à fortifier leurs positions ; la même chose se produisait dans St. Stephen's Green et autour d'autres bâtiments envahis par les Volunteers, devant les yeux des citadins ébahis. L'approvisionnement en armes et en provisions s'effectuait par les auxiliaires de Cumann na mBann.
  L'impression qui sort également au premier plan pour cette première journée de la rébellion, est celle de l'inattendu. Cette insurrection se retrouvait être une surprise, car on avait cru que la rébellion dont les bruits couraient depuis un certain temps, était annulée, et que les Volunteers n'oseraient pas agir.
  Voilà comment James Stephens, l'écrivain irlandais qui, lui aussi, a participé au Renouveau Celtique mais qui n'était qu'un témoin civil du Rising, commence le premier chapitre de The Insurrection in Dublin :
  This has taken everyone by surprise. It is possible, that, with the exception of their Staff, it has taken the Volunteers themselves by surprise; but, to-day, our peaceful city is no longer peaceful; guns are sounding, or rolling and crackling from different directions, and, although rarely, the rattle of machine guns can be heard also .
  Sean O'Casey, lui aussi, commence son récit du Rising par une description exagérée d'une calme soirée la veille de l'Insurrection, précédé d'une énumération détaillée des occupations pacifiques des Dublinois la veille du Rising :
  So the country stretched itself before the fire, examined the form of the horses, filled its pipe and watched the pig's cheek simmering on the fire for the morrow's dinner...
  Le lendemain, tout a irrévocablement changé... Ce lundi-là, les combats, aussi que le nombre de victimes, ont été limités. Après que les Volunteers ont attaqué un groupe de policiers dublinois en tuant un agent et un cheval, les forces de l'ordre irlandais, pris au dépourvu, ont préféré quitter la ville. Quant aux détachements britanniques, ils ont tenu en échec les forces rebelles au Dublin Castle et au Trinity College, et on même repris aux insurgés une partie de South Dublin Union. Quelques civils ont été tués, leurs morts, aussi que l'attaque des policiers, ont indigné le public. L'état d'esprit comme on le décrit était principalement contre les insurgés ; les Dublinois attendaient que les forces de la Couronne rétablissent l'ordre à Dublin. Or, ces dernières n'étaient pas préparées à un tel événement, d'autant plus que l'armée britannique était fortement impliquée dans les actions de la Première Guerre mondiale, et n'était pas en mesure de faire face aux insurgés tout de suite.
  Les lieux que les insurgés ont choisi pour occuper étaient de nature assez hétéroclite : ainsi, ils ont occupé le Palais de Justice (Four Courts) et l'Hôtel de Ville de Dublin (City Hall), aussi que complexe hospitalier à South Dublin Union, Royal College of Surgeons à côté de St Stephen's Green, une distillerie, un moulin... Un correspondant de guerre canadien, assistant aux événements, a trouvé que la planification du Rising faisait preuve des compétences remarquables des insurgés : ' Their scheme was to seize the main buildings in the city, to take possession of corner houses at different commanding points where it would be possible to keep up rifle fire along two or more roads, to control the main bridges and to occupy the two chef food works, Boland's Mill and Jacob's biscuit factory ; as commissariat centers ' . Ils n'ont pourtant pas pu s'emparer du Dublin Castle, le siège des autorités britanniques à Dublin, malgré le nombre réduit d'effectives à cause des fêtes, ni de Trinity College, devenu la garnison principal de l'Armée anglaise plus tard, avec l'arrivée des renforts.
  La contrattaque des Anglais n'a pas suivi aussi vite que le redoutaient les insurgés. On l'explique par une quantité insuffisante des troupes anglaises pour réprimer l'insurrection. 'Their immediate priorities were therefore to amass reinforcements, gather information on volunteer strength and locations and protect strategic positions, including the seat of government, Dublin Castle, which had initially been virtually undefended' .
  L'isolation de la ville a provoqué une situation de confusion générale: on ne savait ni le nombre exact des insurgés, ni l'envergure de leurs opérations, alors on se transmettait des informations tout à fait contradictoires.
  Mardi le 25 avril, Dublin a été proclamé sous loi martiale, le pouvoir a été transféré au Brigadier-General W.H.M. Low, qui a commencé la contrattaque. Les forces britanniques ont d'abord fortifié leurs positions, y compris au Trinity College, et ont repris le Liberty Hall des mains des insurgés (les anglais croyaient que le quartier général de l'insurrection s'y trouvait : or, si la planification du Rising s'est en effet déroulée à Liberty Hall, lors de la Semaine de Pacques, le centre nerveux de la rébellion se trouvait au GPO). Mercredi, l'armée a commencé le bombardement du GPO et d'autres objets stratégiques, qui se faisait à partir de Trinity College et du navire britannique ' Helga ' qui avait remonté la Liffey. Les renforts anglais arrivés, jeudi, les insurgés se sont retrouvés face à un nombre plusieurs fois supérieure des soldats britanniques (selon différentes sources, de 16 000 à 2000 mille). Dans The Anglo-Irish War, 1916-1921, W.H. Kautt décrit des combats féroces aux approches du centre-ville, devenue quasiment une ' zone du tir libre '. Les liaisons entre les insurgés se faisaient à l'aide des messagers qui empruntaient les toits de la ville pour accéder à un site ou un autre. Les membres de l'ICA, ne pouvant plus rester à St Stephen's Green sous les canonnades, se sont retirés dans le Royal Surgeons Hospital et, de là, ont continué la bataille. Entre-temps, certains Dublinois rejoignait les rebelles, dont Ernie O'Malley, devenu plus tard une des figures clés de l'IRA. Toutefois, l'attitude générale envers républicains demeurait hostile. La ville restait sans provisions et souffrait des dégâts de plus en plus grands. Jeudi, la Poste Centrale s'est retrouvée complètement isolée des autres points stratégiques. Le nombre de victimes civiles ne cessait d'augmenter. Samedi, le 7ème battaillon de Sherwood Foresters a entrepris un assaut final, en se frayant le chemin vers le GPO. Les insurgés livraient les combats les plus acharnés dans les rues pour empêcher les Britanniques d'accéder au centre ville. Ainsi, sur le Mount Bridge, 17 Volunteers ont tenu pendant une demi-journée une troupe anglaise qui a perdu, morts ou blessés, 234 hommes, tandis qu'il y avait seulement 5 morts du côté irlandais. Voyant que la résistance ultérieure ne ferait qu'augmenter le nombre de pertes civiles, Patrick Pearse a envoyé une messagère au Brigadier-General Low avec des termes présumés de la reddition. Les Anglais n'acceptaient qu'une reddition inconditionnelle qu'ils ont obtenue à la fin, d'abord au GPO, ensuite, dans d'autres sites qui n'avaient pas encore été pris. Dimanche, les derniers groupements des insurgés, qui avaient continué à se battre sans savoir que leurs leaders avaient signé l'armistice, se sont rendus. L'Insurrection de Dublin était finie.
  Voici les résultats immédiats de cette révolte, cités par M. Caulfield :
  One thousand three hundred and fifty-one people had been killed or severely wounded - officially. One hundred and seventy-nine buildings in central Dublin, enclosing sixty-one thousand square yards, had been irrevocably ruined and the cost, in terms of monetary values then existing, was two and a half million pounds sterling. One hundred thousand people - approximatively one-third of the total population had to be given public relief .
  Cette insurrection destructive a fait plusieurs victimes civiles, sans donner quelque résultat visible. L'objectif de soulever l'Irlande, d'attirer le people à sa cause n'a pas été rempli; le pouvoir anglais restait inébranlable, bien qu'indigné. O'Casey décrit avec regret le retour de l'Irlande du romantique au pragmatique, avec la fin du Rising : ' [...] the Castle is alert and confident ; files all correct, and dossiers signed and sealed for the last time ' .
  
  
  1.2.2.2. L'ACTION ET LA REPRESENTATION
  
  Depuis la fin de cette insurrection, on n'a cessé de rechercher sa signification. On donnait au Rising différentes définitions, et les plus polaires : on y voit aussi bien une action légitime et héroïque, qu'un outrage, un acte terroriste violent et inutile: 'an act of the vilest treachery and most sickening folly, a suicidal insanity on the part of a tiny self-appointed minority of criminally irresponsible leaders, fuelled by hatred of England and an infantile delusion of historical nationhood that was the creation of sick brains' .
  Cette différence de définition dépend donc de la perception des relations entre l'Angleterre et l'Irlande. Au moment de l'Insurrection, ces relations n'étaient pas au plus mauvais : la condition des paysans irlandais avait amélioré, l'Emancipation Catholique avait assuré certains droits à la communauté défavorisée de l'Irlande, les efforts législatifs étaient prêts à aboutir à l'autonomie irlandaise ; enfin, les soldats britanniques et irlandais combattaient coude à coude sur les fronts de l'Europe. Dans ces conditions, la nécessité d'une insurrection n'était pas évidente.
  If Ireland is viewed as forming an integral part of an imperfect but flexible and increasingly democratic constitutional arrangement, the actions of the Easter rebels appear unreasonable and reprehensible. Alternatively, for those who regarded the union as an imperialist façade underpinned by the threat of military force, the rebellion represented a justifiable and admirable assertion of national sovereignty .
  Mais si, d'un côté, reconnaître le gouvernement de la Grande-Bretagne comme légitime et démocratique, condamnait le Rising, justifier le Rising revenait à rendre injustifiable et illégitime l'activité du gouvernement britannique en Irlande. Aux yeux des nationalistes, il fallait donc retourner l'opinion publique vers ce deuxième point de vue. Cette mission a été remplie avec succès par les Anglais eux- mêmes, qui, indignés par cette action insensée au bon milieu de la guerre, ont exécuté seize leaders du Rising, y compris tous les signataires de la Proclamation. Cela a provoqué une très vive réaction chez des irlandais qui, avant, étaient indifférents ou hostiles au Rising. Ils étaient particulièrement outragés par l'exécution du jeune Willie Pearse, dont la faute essentielle était d'être le frère de Patrick, et de James Connolly, blessé à la jambe. Certains contemporains on qualifié ces exécutions de 'holocauste', un terme qui réapparaîtra pour qualifier le Bloody Sunday : ' Thirteen executions had taken place but the holocaust was not deemed sufficient.'
  Cette exécution a également versé de l'huile sur le feu du conflit entre les catholiques et les protestants :
  With bitterness in our hearts, we contrasted their fate with that of the Ulster Provisional Government, the Government which a couple of years previously had been openly preaching rebellion, drilling and arming Volunteers in defiance of the British Crown and Parliament, invoking the aid of the Kaiser, and seducing British army commanders from their allegiance. These gentlemen, none of whom had ever been persecuted, were now posing as pillars of law and order...
  
  Dans les années 1970, l'histoire entière du Rising a subi une ' révision '. ' The Easter Rising of 1916 has been so effectively revised that its seventy-fifth anniversary is a matter of official embarrassment' . Il faut dire que la différence entre l'apothéose de la commémoration du Rising de 1966 et ' l'embarras ' de celle de 1992 est devenue un lieu commun dans le discours moderne du Rising. La critique du Rising portait sur son symbolique, sa narration; le révisionnisme visait plus la narration que l'événement lui-même.
  Or, on ne peut réviser que ce qui a été bien appris. Si le symptôme des Troubles est une lacune, un silence de la narration, le Rising a été ' victime ' d'une histoire trop souvent racontée. On ne peut plus retrouver l'origine humaine du Rising, sa réalité, car on lui a ôté le réel, en transformant ses participants en icône et l'événement lui-même, en histoire biblique. Le mythe a tellement dépassé l'événement que G. O'Crualaoich se demande sérieusement ' when is 1916 ? ' A son avis, il est impossible d'ancrer l'insurrection dans un moment de temps précis :
  So ' 1916 ', in the cognitive and affective sightings of it... is not a fixed point in time [...] As well as happening seventy-five years ago, '1916' for me happened at the beginning of prehistory; never happened at all and it's only a story; happens regularly at intervals determined by political occurrences; is happening now; is yet to happen - and so on' .
  
  Il en a été fait un mythe ; or, selon Barthes, le mythe est une aliénation : il conserve l'existence de l'être ou de l'objet en le privant de l'épaisseur de l'existence et de la densité de sa mémoire . En quelque sorte, ce qu'il en reste n'est que le signifiant auquel le discours ultérieur assigne un signifié (il peut s'agir du discours ' populaire ', vernaculaire, aussi bien que du discours des instances officielles, qui essayent de l'utiliser, par exemple, à des fins de propagande), pour endoctriner les masses avec les valeurs acceptées à l'aide de la répétition de rituels collectifs. Dans des cas pareils, la commémoration de l'événement prend plus d'importance que l'événement lui-même ou présente, comme dans le cas du Rising, un enjeu historico-politique en soi : qui est commémoré, comment et pourquoi ?
  Ceux qui ont directement participé dans les événements de la Guerre Anglo-Irlandaise et de la Guerre Civile qui a suivi, n'évoquent pas l'Easter Rising en tant qu'événement clé ; dans les mémoires des militaires de l'IRA il n'y a pas d'exultation que ce nom évoque dans les ouvrages plus tardifs (ou de ceux qui n'y ont pas participé). Chez les participants, il peut être considéré comme un événement dans la chaîne d'autres événements ayant eu lieu dans les deux premières décennies du XX siècle, plus qu'un événement de départ. Ernie O Malley, l'assistant du secrétaire général de l'IRA, dans son livre The singing flame parle du Rising comme d'un événement bien préparé mais mal réalisé : ' We have failed to profit by the experience of Easter Week. Dublin had failed to learn its lesson, a commonsense lesson. In 1916 a definite plan had been prepared and acted on, although due to the countercommanding order of MacNeill only sixteen hundred men turned out instead of some three thousand' .
  Mais les ouvrages modernes offrent une autre vision de l'événement : le lecteur peut avoir l'impression que cette révolte était un acte symbolique et purificateur, acte suicidaire par son essence ; que ' les rebelles Pearse, MacDonagh, Plunkett, Connolly et leurs compagnons [...] allèrent au-devant de la mort avec la certitude de la défaite militaire immédiate, portés par la soif du martyre. Ils croyaient que leur calvaire était un sacrifice, que leur sang rachèterait l'Irlande et l'humanité '.
  Certains auteurs clament que cette analyse ' symbolique ' n'est qu'une des conséquences assez inattendues de cette révolte ; qu'au début, cela avait été planifié et élaboré comme une opération militaire sérieuse, perdue à cause de la confusion dans les ordres et du refus de participer au dernier moment de la plupart des Irish Volunteers. La notion du ' sacrifice sanglant ' ne serait venue qu'au cours des derniers jours de l'insurrection, quand il est devenu clair que cette dernière était condamnée ; jusque-là, les insurgés espéraient une victoire.
  Dans une analyse de la planification et de la réalisation du Rising sur le plan militaire, il est noté qu'au début cette insurrection a bien été conçue comme une insurrection de Dublin, une démonstration de l'esprit national irlandais et que les insurgés n'avaient aucun espoir de réussir. Sean McDiarmada, l'un des leadeurs du Rising, qui l'a planifié en grande partie, aurait observé : 'We'll hold Dublin for a week, and save Ireland' . Ensiite, pourtant, le projet de l'insurrection a pris de l'envergure, en particulier, sous l'influence de James Connolly qui a rejoint les leaders de la rébellion en 1915. On escomptait, avec des armements allemands, d'équiper les groupements provinciaux de volontaires et d'établir une ligne de défense le long de la rivière Shannon, d'où les forces irlandaises commenceraient une remontée vers Dublin ; ou bien, le cas échéant, de relier le Sud et le Nord afin de commencer une guérilla sur le territoire entier du pays. Ce projet aurait été influencé par les idées marxistes de Connolly, qui croyait que les capitalistes ne riposteront pas de façon très violente de peur de détruire leur propriété .
  Il semblerait que le refus de McNeil a ramené les insurgés au projet précédent, celui du ' sacrifice sanglant '. Car l'idée de continuer l'insurrection sans les armements et avec un nombre réduit de participants aurait pu paraître une folie.
  D'ailleurs, mercredi déjà, en privé, P. Pearse aurait prononcé les mots suivants :
   When we are all wiped out, people will blame us for everything, condemn us. But for this the war would have ended and nothing have been done. In a few years they will see the meaning of what we tried to do.
  
  Au contraire, le but initialement annoncé de tenir une semaine a bien été atteint et, à long terme, a porté les fruits attendus (même si ce n'est qu'une partie de l'Irlande qui a finalement été ' sauvée '). Les spécialistes ont note une bonne et simple organisation de l'insurrection par des gens qui connaissaient bien Dublin ou avaient appris à la connaître au cours de la préparation du Rising : ' The real essence and singularity of the Rising exists in its simplicity [...] It was only that they seized certain central and strategical districts, garrisoned those and held them until they were put out of it '. C'est une bonne tactique pour une révolte, mais mauvaise pour une révolution.
  Cette vision singulière du Rising peut être due à la propagande qui avait précédé l'insurrection. Car, même si les leaders du Rising (au premier abord, Pearse) comptaient sur une réussite militaire, cela ne les a pas empêchés d'entourer cette insurrection d'une théatricité particulière. Cette théatricité est compréhensible dans le contexte du ' séparatisme culturel ' du début du XXème siècle, quand c'était la seule forme de protestation qui restait aux nationalistes, et quand la scène principale du mouvement nationaliste était celle d'Abbey Theatre. Des associations culturelles ont commencé à fleurir en Irlande après la mort de Parnell, qui a considérablement affaibli les nationalistes irlandais, plongé le pays dans ' une sorte de paralysie ' et réduit temporairement leur résistance au ' séparatisme culturel ' . Le nationalisme ' littéraire ' au cours du Renouveau Celtique (Celtic Revival) a formé l'état d'esprit de ceux qui ont participé à l'Insurrection de Pâques. Les associations créées à cette époque, telles que Conradh na Gaeilge (Ligue Gaëlique) ou Gaelic Athletic Association, qui avaient à l'origine des vocations pacifiques (culturelle, éducative, sportive) tout en oeuvrant pour ' l'indépendance intellectuelle de l'Irlande ', selon une expression de P. Pearse , fournissaient des ressources humaines pour les organisations nationalistes armées, apparues ultérieurement. L'idéologie du Rising a été élaborée et même mise en scène dans des cercles littéraires et l'Abbey Theatre. Ce ' Renouveau Celtique ' a favorisé un renouveau de l'enthousiasme pro-irlandais : ' an energy was unleashed in the national being which affected everyone who lived then' .
  Il semble que le Rising était inévitable, non en tant que rébellion politique, mais en tant qu'explosion d'humeurs nationalistes qui ont été longuement propagés par les partisans du Renouveau Celtique. Il fallait que tous les poèmes, toutes les pièces composées en l'honneur de l'Irlande et avec un but implicite d'enflammer les cœurs patriotiques, aboutissent à quelque chose. Ce 'sacrifice sanglant', une insurrection devenue en fait manifestation, est tout à fait possible dans la lumière de cette vague du nationalisme poétique et identitaire qui a submergé l'époque.
  L'appel même à la commémoration des martyres de l'Irlande a été lancé avant l'insurrection, par Yeats :
  They should be remembered forever
  They shall be alive forever
  The people should hear them forever...
  ('Cathleen Ni Houlihan' (1902))
  C'était comme si les 'révolutionnaires poètes' de l'Easter Rising avaient modalisé d'avance le discours de mémoire, qui devait amener à reconsidérer le souvenir et l'identité irlandaise.
  Il faut maintenant voir comment se place l'insurrection dans la continuité du discours nationaliste. Cette révolte, comme le remarquent plusieurs auteurs, et comme le soutenait Pearse lui-même, a continué une longue série des insurrections irlandaises, toujours noyées dans le sang. L'objectif que s'étaient fixés les insurgés, était-ce de donner un nouveau coup de hache dans le bâtiment de la suprématie anglaise déjà ébranlée par les précédents ? Ou bien fallait-il se révolter pour soutenir la tradition, la ' culture ' de l'insurrection, et, par cette même action de rappeler aux Irlandais leur identité, juste au moment où beaucoup d'entre eux étaient amenés à combattre à côté des Anglais, dans une guerre qui n'était pas la leur. Le discours révolutionnaire du 1798 s'étant épuisé, le Rising lui aurait donné du sang nouveau. Il est possible que la ' prophétie ' de ces leaders n'ait été rien d'autre que le pronostique basé sur les discours précédents d'après-insurrection que ces littéraires avaient eu tout leur loisir à étudier. Car pleurer les héros de révoltes échouées fait aussi parti intégrante de la culture irlandaise.
  C'est de ce point de vue que la Proclamation de la République, quoique mal écoutée et mal comprise sur l'instant, est significative, car elle donne une légitimité discursive à une entité virtuelle, la République qui, strictement parlant, n'existera jamais, car les leaders du Rising n'ont pas prévu la Partition. Or, depuis 1916, on s'y réfère comme à une République existante. 80 ans avant la boum européenne des républiques auto-proclamées, post-soviétiques et post-yougoslaves, l'Irlande utilise déjà ce moyen de s'imposer rien que par le discours. Cette Proclamation, d'abord, rejette la notion de ' trahison ' dont on accusait les insurgés, et légalise les actions commises pour l'Irlande, en particulier, l'activité de l'IRA. Cette république, éternelle parce que non-existante, continue d'apparaître dans le discours de l'Irlande Unie. Dans une Irlande accoutumée au silence cet acte en soi était un acte de validation. Tomas McDonagh, au cours de son procès, l'a bien prédit :
  You think it is already a dead and buried letter, but it lives, it lives. From minds alight with Ireland's vivid intellect it sprang; in hearts aflame with Ireland's mighty love it was conceived. Such documents do not die.
  
  La révolution ne fut jamais achevée, mais la République proclamée dans cette ' soif de validation ' dont écrit Ella O'Dwyer , continue à exister et à légitimer virtuellement des actions que l'on réussit à inscrire dans l'ensemble de ses valeurs.
  On observe la logique de cette construction ' virtuelle ' ou ' discursive ' de l'Irlande qui commence avec le début du Renouveau Celtique : d'abord, on dégage un instrument qui a une double fonction, de servir de code pour les initiés et de prouver l'existence d'une nation, car il y a nation seulement là où il y a langue ; parallèlement, avec le ' retour aux sources ', se construit dans le discours littéraire, poétique, l'histoire d'une nation unie et combattante, entière malgré la colonisation. Enfin, on invente pour cette nation, une République, et finalement, on crée un mythe constituant de la naissance de cette République.
  Au fait, ce soulèvement avait devancé son temps, en devenant une sorte de révolte ' événementielle ', aspirant non pas à un succès militaire immédiat, mais à une réponse publique générale, à un soulèvement de conscience populaire. On serait tenté de dire que, ne possédant pas les moyens ni le support nécessaires pour faire face aux forces britanniques, les leaders du Rising ont misé sur une guerre de mythes, une guerre d'information.
  Quant aux idées symboliques, mystiques que cette Insurrection avait engendré, elles ne sont pas le propre de l'Irlande, au même titre que la doctrine du ' sacrifice sanglant ', mais en Irlande, elles ont été semées dans un sol particulièrement fertile. Les idées de refus du matérialisme bourgeois au profit des valeurs idéalistes, de violence régénératrice ont envahi toute l'Europe conduisant, entre autres, à la Révolution du 1917 en Russie. Notons que la violence des insurgés était d'une autre nature, spécifiquement irlandaise :
  La violence du mouvement Sinn Fein et de l''Irish Republican Army pendant la guerre d'Indépendance [...] était différente, spécifiquement irlandaise. Ces patriotes croyaient que le sang des martyrs purifierait le peuple et régénérerait l'Irlande, comme le sang du Christ avait lavé le pêché originel de l'humanité. [...] Ils croyaient que la guerre finale entre eux et les Anglais serait l'Apocalypse, que leur sacrifice laverait les pêchés du peuple irlandais, libérerait leur mère opprimée, cette Cathleen Ni Houlihan...
  Ce discours, le mélange de paganisme et de christianisme ne pouvait tout de suite enflammer la population, à part une couche assez fine d'intelligentsia. Mais après l'exécution des leaders du Rising, ce discours, simplifié et canonisé afin d'être compris de peuple, est devenu le discours dominant en Irlande. ' L'idée du sacrifice sanglant ne fut utilisée qu'à posteriori. Le second Sinn Fein en fit son fonds de commerce électoral entre 1917 et 1921 ' . Or, Sinn Fein n'aurait pas pu l'employer que dans l'ensemble de la narration sur le Rising dont le canon narratif s'était déjà finalisé vers cette époque, avec l'aide d'autres poètes et littéraires.
  Une autre particularité de cette narration du Rising, et, sans doute, la raison pour laquelle elle était si commode en emploi pour la République Irlandaise de De Valera, est que le symbolique du Rising était ce mélange du païen et du catholique qui appartenait, depuis le début, à l'Irlande catholique ; ce symbolique écarte ainsi complètement les protestants ; il n'y a eu aucun protestant parmi les signataires de la Proclamation ; il n'y a aucun symbole protestant dans le symbolique élaboré du Rising. On a accusé Pearse de s'être plongé trop profondément dans le mysticisme païen: or, tel Saint Patrick, il n'a fait que ce que les premiers missionnaires catholiques ont fait en Irlande plusieurs siècles avant : il a mélangé les légendes celtiques aux histoires bibliques, en ramenant les Irlandais aux origines mêmes de leur catholicisme. L'église Anglicane a beaucoup fait pour chassé l'imaginaire ; avec les poètes du Renouveau Celtique, il est revenu au galop. Le romantisme n'était pas mort, contrairement à Yeats, mais c'était transformé en un romantisme purement catholique. ' Le fait qu'aucun membre de l'élite anglo-irlandaise ne soit présent parmi les dirigeants de l'insurrection prouve que l'Irlande catholique n'avait plus besoin que des protestants lui procurent les dirigeants qu'elle avait été incapable de se donner depuis la mort d' O'Connell en 1847. ' Le Rising était, dans une sorte, la révolution de l'identité : ' a singular obsession, for this identity, this Irish-ness, was one and indivisible ' . L'insurrection incarnait les valeurs de la République d'Irlande à venir : le catholicisme, le retour aux sources, l'irlandicité, la langue gaélique.
  La révision du Rising, du point de vue axiologique, n'a rien d'étonnant. Pour nous, il s'agit moins du désenchantement par rapport aux ' valeurs du 1916 ', dû principalement aux Troubles en Irlande du Nord, mais plutôt, du changement du système axiologique tout entier.. Le désir de préserver coûte que coûte l'identité, la langue (souvent minoritaire), la religion jusqu'au fanatisme, la haine vouée aux Anglais, tout cela était né à l'époque de colonisation britannique. Les poètes du Revival proposaient un symbolisme, une identité qui convenait pour un pays opprimé ou récemment libéré, mais qui ne convient plus à un Etat indépendant développé. Il semble que pour se développer, le pays ne doit plus conférer autant d'importance à son identité.
  Ce dont accuse aujourd'hui le discours révolutionnaire est d'avoir proposé aux générations suivantes un système de valeurs facilement applicable à toute situation d'opposition aux autorités (irlandaises ou britanniques), de façon que chaque génération suivante (cela concerne au premier abord l'Irlande du Nord) était ramenée vers se romantisme révolutionnaire, ancré dans le discours avec les noms des martyres du 1916, même dans les moments où ce symbolisme, ' the symbolism of quasi-religious martyrdom, of victory rising from defeat and of popular radicalisation all suggest ways in which the rhetoric of 1916 ' empêchait la construction d'une société pacifique et démocratique. Voilà pourquoi certains considèrent le dicours nationaliste hérité du Rising comme un handicap pour la communauté catholique :
  [...] pendant toute la période considérée et jusqu'au cessez-le-feu de l'an dernier, l'idéologie républicaine s'est trouvée déphasée par rapport à des mouvements de mobilisation politique qui exprimaient des revendications ne débouchant pas sur son projet militaire. Durant la même période, le mouvement républicain n'a pas non plus su s'adapter aux conditions dont dépendait sa transformation en véritable force politique. Ces positions de l'idéologie dont il s'aveuglait et la vanité de la voie du militarisme qui en dépendait, même si des actions d 'éclat, en exacerbant la réaction de l'état britannique, contribuaient à aliéner toujours plus la minorité catholique et nationaliste et à entretenir chez elle, un puissant ressentiment à l'égard des forces de l'ordre '
  
  1.2.2.3. LES NOMS DE LA NARRATION
  
  Avant de commencer la recherche proprement dite sur l'évolution des noms de mémoire dans la littérature, il faudrait délimiter le champ de recherche sur lequel nous nous concentrerons. Pour ce faire, nous devrions définir le paradigme nominal de mémoire pour cet événement. Il ne s'agit pas ici d'un champ sémantique, mais plutôt d'un ' espace onomastique ' comme le nomment les linguistes russes. Il s'agit d'un groupe de noms propres (anthroponymes, toponymes, etc.) associés à un événement concret. Chaque moment d'histoire dégage un ensemble de noms propres que le locuteur retiendra et qu'il associera avec ledit moment. Il ne s'agit pas d'un inventaire complet des noms que pourrait présenter un historien, mais des noms qui renvoient de façon pertinente à cette événement et qui constituent son schéma axiologique. Ce paradigme est de nature extralinguistique, mais les noms qui y rentrent entretiennent souvent des liaisons associatives entre eux. Plus le discours est rigide, ce qui est le plus souvent le cas du discours idéologique, plus les associations entre les entre les membres de ce paradigme sont fortes. Cette quintessence de noms et de notions qui y sont associés représentent un schéma grossier de l'événement qui pourra ensuite être employé dans la littérature, avec la certitude de faire allusion à ces noms universellement connus.
  Pour définir ce paradigme, il faudrait construire un schéma d'événement avec, comme jalons, des notions-clés. Ce schéma est pluridimensionnel : il inclut la géographie discursive (noms de lieux devenus noms de mémoire), les noms d'actions et d'acteurs, et.
  Il faut comprendre que ce schéma est, d'abord, très difficile à établir et, ensuite, ne permet que limiter provisoirement le champ nominal pour une étude ultérieure. La sélection des noms ne dépend pas forcément du rôle qu'un lieu ou un participant ont joué dans le développement de l'événement, mais plutôt, la façon de se souvenir de ce lieu ou de ce personnage, et aussi, sa mise en discours, médiatisé. Sous médiatisation je n'entends pas la propagation dans les médias, mais aussi, toute propagation du nom dans le discours (y compris, et c'est une partie importante de la médiatisation en Irlande, les chansons populaires). Comme c'est la façon de décrire l'histoire qui forme la mémoire, nous avons fait fond sur les ouvrages historiques, où nous avons relevé les noms les plus fréquemment employés, et, ce qui est non moins important, ceux dont la mise en contexte a relevé des traits saillants qui passent d'un texte à l'autre et qui, très probablement, seront associés au nom en question dans le discours. Sans doute cette approche peut-elle paraître un peu simpliste, et, de toute façon, nous n'appliquons cette méthode que pour tracer une sorte de schéma sur lequel nous pourrons nous orienter dans les recherches ultérieures ; ce n'est qu'après l'analyse du corpus des textes que nous pourrons réellement établir ce paradigme.
  I. LE PRAXONYME : LE RISING
  
  The day before the rising was Easter Sunday, and they were crying joyfully in the Churches ' Christ has risen '. On the following day they were saying in the streets 'Ireland has risen' .
  Cette première phrase de la préface de The insurrection in Dublin de James Stephens explique facilement le choix de la date du Rising et le choix du nom donné à l'insurrection.
  Ce praxonyme semble universellement adopté ; or, cette appellation possède une multitude de variantes et d'alternatives. On peut citer ' The Easter Rising ', ' The Rising ', ' The Irish Rebellion ', ' The Easter Rebellion ', ' Easter Monday Rebellion ', ' The Irish Easter Rising ', et des dates en voie de devenir chrononymes, comme, par exemple, ' Nineteen-Sixteen '. Les contemporains de l'insurrection l'ont baptisée, dans les journaux et les chroniques de l'événement, le 'Sinn Fein Rebellion', ce qui est complètement faux, car Sinn Fein à l'époque était un parti pacifiste. Or, l'opinion publique ne faisait pas de différence entre le mouvement politique et le groupement militaire étant à l'origine du Rising, associant les ' Fenians ' au Sinn Fein, ce qui a donné plus tard à ses partisans la raison d'affirmer que 'Sinn Fein's birth certificate had been 'written with steel in the immortal blood of martyrs in 1916' .
  Même si le praxonyme possède des variantes, il semble que le poids culturel principal a été conféré à la locution ' Easter Rising '. La preuve est offerte par les inscriptions murales (on retrouve, le plus souvent, ' Easter 1916 ' ou ' Easter Rising 1916 '). La médiatisation de l'événement, dans ce cas, a été assurée non pas seulement par les médias, mais aussi, par le monde littéraire.
  Le terme ' Insurrection ' semble également rentrer dans le champ sémantique du Rising. Ce n'est pas un nom d'événement proprement dit, et il exige une sorte de compréhension tacite (à savoir qu'il s'agit de l'Insurrection, et non pas d'une insurrection quiconque). Ne possédant pas le degré d'intelligibilité nécessaire pour un chrononyme, il nécessite des précisions dans le discours (' The insurrection in Dublin ', ' The Insurrection of Dublin 1916 ', etc).
  Le mot ' Easter ' est en lui-même un chrononyme, rentrant dans la catégorie des ' noms de fête ' et portant un ensemble de valeurs culturelles valides pour les deux communautés. Sa signifiance culturelle s'inscrit bien dans le cadre symbolique du Rising.
  Nou? avon? cherché, dan? Cambridge dictionnary, le? définition? pour in?urrection, rebellion et ri?ing, sans pouvoir trouver une véritable différence entre les trois notions, une différence qui aurait conditionné le choix d'un vocable, et non pas d'un autre :
   insurrection [...] an organized attempt by a group of people to defeat their government and take control of their country, usually by violence.
   uprising (ALSO rising), an act of opposition, sometimes using violence, by many people in one area of a country against those who are in power.
   rebellion 1 [...] violent action organized by a group of people who are trying to change the political system in their country.
  Les trois termes ne diffèrent pas considérablement au niveau de la dénotation : chaque signification comprend les sèmes ' violence ', ' révolte ', ' opposition aux autorités '. Il s'ensuit que la différence doit se trouver au niveau des connotations et de la consonance. Pourtant, il existe une nuance laquelle, si elle n'apparaît pas dans la définition dictionnairique, se perçoit dans le contexte : dans le cas d'insurrection, il s'agit le plus souvent d'une action politique, visant à retourner un gouvernement, et c'est dans les contextes historiques que l'on rencontre ce mot le plus souvent. Quant au rebellion, il peut nommer n'importe quel acte d'insoumission (child's rebellion, adolescent rebellion). C'est sans doute la raison pour laquelle Max Gaulfield dans The Easter Rebellion se sent obligé de justifier, dans la note d'auteur, le choix de ce titre qui risque de paraître péjoratif, et non d'un autre :
  A word of explanation to Irish friends who may feel that I should not have described the Easter week happenings as a 'Rebellion'. [...] I am fully aware of the connotation. But in extenuation, I would point out that it was this described at the time and it has been my endeavour to retain the atmosphere of events as well as I can' (en meme temps, il s'excuse devant Sean MacDiarmada d'utiliser la variante anglaise de son nom) .
  En jetant un coup d'œil sur le fond international de noms des révoltes, nous constatons que de nombreux chrononyme?, notamment le? nom? de? rébellion?, ?ont formé? ?elon le même principe : dé?ignation de l'époque (déterminant) + dé?ignation de l'évènement (déterminé) : ' November Uprising ' (' Povstanie Listopadowe '), ' October revolution ' (' Okt'abr?kaia Revolut?ia '), ' Los Angeles riots ', etc. La différence des marqueurs (' Irish ' - ' Easter ') peut être due à la dichotomie ' intérieur - extérieur '. Effectivement, le chrononyme ' Irish rebellion ' sera moins pertinent pour le discours irlandais, car il ne définit pas l'événement par rapport à d'autres rébellions ; de plus, cette locution s'utilise déjà pour une autre insurrection, celle de 1798 ; dans le discours irlandais, l'insurrection de 1916 prend donc un déterminant plus concret. Nous observons ce même principe dans le chrononyme polonais ' Insurrection de novembre ', avec son analogue en russe ' Insurrection Polonaise '.
  De plus, un chrononyme comme ' Irish Rebellion ' ne serait pas un nom ' suffisant ' dans la mesure où il ne porterait pas la référence aux Pâques, car l'idée de la rédemption, de la résurrection, du salut, cultivée par Patrick Pearse ne pouvait s'associer à une meilleure date.
  Le mot ' Ri?ing' e?t une forme dérivée et ?implifiée de ' upri?ing ' et, en ce ?en?, ?on utili?ation confère un plu? grand niveau de figement à la collocation. Ain?i, dan? le? texte? où cet événement e?t con?idéré comme une entité culturelle, utili?e-t-on la dénomination ' Ea?ter Ri?ing' ou ' The Ri?ing'. Quant au ' Rising ', ce mot possède une association importante que ' Uprising ' n'a pas; il s'agit, bien sûr, de la résurrection de Jésus. Ce vocable évoque en même temp? ' the ri?ing of the ?un, (the moon) ' et ' the Ri?en ?aviour '
  Le rôle crucial dans le développement du chrononyme semble avoir été joué par Yeats. En donnant à ?on poème, devenu cla??ique, le titre Ea?ter 1916, il a ?ingulari?é l'événement, en joignant, à jamai?, la notion de Ea?ter à la date concrète. Il n'est pas étonnant que cette formule yeatsienne se tévèle productrice dans le discours.
   Remarquon? que c'e?t ju?tement cette formule - ' Ea?ter 1916 ' - qui rentre dan? le ?ymbolique habituelle de? mural? nationali?te? , à côté d'autre? image? inévitable?: 'phoenixe?, Celtic cro??e?, Cuchulainn, freedom-fighter?, and Bobby ?and? [...] Mother Ireland? beckoning to battle and a few Daughter-Ireland? in battle dre??'.
  La date même de 1916 ?'e?t enracinée dan? la mémoire irlandai?e nationali?te. On ne peut pas la qualifier de nom au plein sens du terme, car la date n'a pas franchi le stade de nominalisation, néanmoins, elle s'inscrit dans la définition du chrononyme. (16 per?onne? ont été fu?illée? après le Rising, ce qui favori?e, évidemment, la conception my?tique de la date - et ?a poéti?ation. On la retrouve dans le titre de la campagne ' Reclaim the Spirit of 1916 ' lancée par Robert Ballagh, mais elle appartient au langage littéraire aussi bien qu'au langage utilitaire. ' Nineteen-sixteen ', un chrononyme commode grâce à sa rime intérieure, a été utilisé par les bardes de l'Insurrection :
  In Dublin town in nineteen-sixteen
   A flame of freedom did arise
  (Patrick Pearse),
  et également, repris par les poètes:
  Come gather round me, players all:
  Come praise Nineteen-Sixteen
  (Yeats, Three songs for the one burden, 1939)
  Les historiens reprennent cette date en tant que chrononyme :
  Ninety-eight had seemed a very long time ago, and Forty-eight and Sixty-seven seemed like anti-climaxes, cherished by a small minority, but regarded somewhat shamefacedly by the majority. But they and the 1916 were all of the same metal...
  Quant au mot ' Easter ', c'est au travers de ce nom, souvent, que l'on introduit l'événement. Comme déterminant, il (re)place le déterminé dan? la ?ituation di?cur?ive de référence. En tant que nom, ' Easter ' désigne l'événement, en restant cependant un ' désignateur flasque ', à cause de son ' insuffisance descriptive ' (selon Alice Krieg-Planque, le fait que l'événement soit doté d'un nom n'implique pas obligatoirement que cet événement soit mis en description). En d'autres mots, cela peut rendre le discours sur l'événement inintelligible ou ambigu (les écrivains profitent de cette ambigüité, laquelle, à notre avis, n'est pourtant pas une ambigüité, mais une superposition de deux cadres culturels.
  Comme ?ynonyme?, ?ont pré?ent? ' Easter Week ', ' Easter Monday ', ' April ' ou ' Spring', (entre autres, James Stephens intitule son poème-hommage aux héros du Rising ' Spring 1916 '.)
  II. ANTHROPONYMES: NOMS DES HÉROS
  
  Au centre de la sphère anthroponymique du Rising se trouvent, sans doute,, les ' noms des héros '.
   Nous y classons les noms des signataires de la Proclamation et des commandants de l'Insurrection, tels que Cathal Brugha ou De Valera, et les noms féminins que nous classons dans un groupe à part. On affirme que le rôle de Connolly and Pearse a été exagéré au point d'éclipser presque celle de leur collègues du Military Counsil. Nous croyons que la sphère onomastique est quand même plus large, même s'il est évident que les noms de Pearse et de Connolly seront analysés en premier lieu. Un problème qui se pose par rapport à l'enregistrement de ces ' noms des héros ' est celui de l'orthographe. En effet, comment expliquer que dans l'espace du même texte historique, on rencontre James Connolly et Seán MacDiarmada ? Si le niveau de l'engagement dans le discours nationaliste se prouve par l'irlandicisation des noms, comment expliquer une telle version que Pádraig Pearse fréquemment donnée dans les textes ? Y a-t-il un contexte (il s'agit, bien sûr, des textes écrits en anglais) où il sera nécessaire d'irlandiciser tous les noms ? Il nous faudra de prendre en compte toutes les variantes des noms, même si le choix de l'orthographe nous semble plutôt aléatoire.
   On inclut également dans ce paradigme les noms des adversaires britanniques : le Brigadier-general Low, General Sir John Maxwell, Lord-lieutenant Lord Wimborne, les 'noms de groupe ' comme Sherwood Foresters...
   Quelques noms de victimes civiles semblent aussi faire part du paradigme, comme celui de Francis Sheehy-Skeffington, devenu symbole de la violence du Rising ;
   Nous estimons que ce paradigme ne sera pas complet sans les noms des littéraires qui ont servi à médiatiser son image ; c'est bien sûr le nom de Yeats qui sera le premier sur cette liste.
  Il semble qu'à force de réciter l'histoire du Rising, ses personnages perdent leur signifiance en tant qu'être humain, site géographique ou jour du calendrier, pour devenir, une fois dépourvu de leur signification, des mots, désignant des valeurs assez précises. On leur assigne à chacun une fonction, une qualité qui en fait des personnages d'une histoire quasi-biblique, des archétypes. '[The revolutions] have meaning [which] makes out of the men and women of 1916 sanctified heroes whose deeds are to be talked of only a reverential or sepulchral tones and whose word is sacred'.
  Nous citerons ici pour l'exemple la description des deux leaders les plus ' icôniques ' du Rising.
  In the center, striding belligerently, was Commandant General James Connolly, a stocky, bandy-legged man with a square, open face and a shaggy mustache... He was a dedicated Marxist as well as nationalist by persuasion. [...] He was a man of whom it might be said he was born in the wrong country and one year ahead of his time. [...] To Connolly's right marched Commandant General Patrick Pearse, like Plunkett a poet, though more mystical and messianic, also a playwright, a lawyer, an educator (founder of two highly regarded schools), and the most effective Irish orator of his day .
  Considérer les signataires de la Proclamation comme prophètes et visionnaires est aussi devenu un lieu commun dans la description du Rising :
  No, it was not only the voice of the poets that was heard, for Terence McSwiney and Patrick Pearse, Thomas McDonagh and Joseph Plunkett were then prophets, not poets... for the poets come at the end of a period to sing it to sleep forever, whereas the prophets gather to proclaim round the undying people the grandeur of its ultimate step into freedom .
  Ces rôles sont présents dans les caractéristiques récurrentes des acteurs du Rising que nous retrouvons dans notre corpus des textes: Pearse idéaliste charismatique, Connolly marxiste, McDonagh poète, Tom Clarke l'homme d'action, Cathal Brugha l'intrépide, O'Neill lâche, Roger Casement le patriote et/ou traître, etc. Cette mythologisation des noms a encore plus affecté les femmes : Constance Markievitch est plus qu'un officier de Cummann na mBann ; elle est l'incarnation même de l'Irlande, l'héritière directe des reines guerrières celtes...
  Cette ' icônisation ' quand à chaque nom on confère sa propre rôle, mène à la lexicalisation des noms de mémoire : les noms en question ne gardent que quelques traits pertinents élevés à l'absolu.
  
  
  
  III. LES TOPONYMES: UNE VILLE EN FLAMMES
  
  La géographie discursive de Rising est bien résumée par G. O'Crualaoich, sous le chapitre ' Where was 1916 ? ' où il énumère non pas les endroits où des actions se sont déroulées ; mais les endroits dont on se souvient que les actions s'y sont déroulées : ' ...it was 'at' Mount Street Bridge, and the South Dublin Union and Boland Mills and North King Street and St Stephen's Green and, above all, at O'Connel Street, in the GPO...' Ce sont, effectivement, les noms de lieu retenus pour et par la narration.
  Les toponymes de ce groupe, tout comme la ville lors de la semaine des Pacques, seront ici subdivisés en deux groupes :
   ceux que l'on associe traditionnellement aux insurgés elle-même (The GPO/Post Office, Mount Street Bridge, St Stephen's Green, South Dublin Union) ;
   ceux qui ' appartiennent ' aux forces anglaises venues réprimer la rébellion (Shelbourne Hotel, Portobello Barraks, Trinity College, enfin, Killmanham Gaol et Dublin Castle).
  De la première catégorie, le nom le plus symbolique est, sans doute, the GPO. Claire Wills, dans Dublin 1916, explique le choix du GPO comme cœur d'insurrection :
  Why the GPO? The Post Office was one of the most well-established institutions in Ireland... [but] lacked the martial significance of Dublin Castle. It was a symbol of commercial rather than military power, and it had a very different standing with the Irish public. It stood for control but it was also where you bought your stamps. The building managed to function simultaneously as a symbol of empire and of a quotidian aspect of Dublin life, and this dual status, as linchpin in the presentation of the state - whether British of Irish - and at the same time owned by the ordinary citizen, has marked the story of the GPO ever since. 'a sacred site'
  Pour les besoins des insurgés qui comptaient sur une large visibilité, à l'échelle nationale et internationale, the GPO convenait au mieux. Sa signification est sans cesse réactualisée : la Poste de Dublin est devenue lieu de manifestations et célébrations nationales. La mémoire a aussi gardé d'autres toponymes symboles de la résistance et du courage des insurgés : Boland's Mill ou Mount Street Bridge, appelé Irish Thermopylae ; l'ensemble de ces toponymes fait aujourd'hui la carte virtuelle du Rising.
  
  1.2.3. UN CONFLIT MODERNE ENRACINE AU PASSE
  
  Le Bloody Sunday en lui-même n'est qu'un incident, sanglant certes, mais qui ne reste qu'un élément dans une série d'agressions qui ont marqué les années 1960-1970 en Irlande du Nord ; ce n'est qu'un élément dans la série des discriminations et violences anti-Catholiques perpétrées dans cette région pendant cette période. Pourtant, sur le plan symbolique il devient l'élément central des Troubles, dans la mesure où il sert d'exemple et stigmatise la violence nord-irlandaise et les mensonges des autorités britanniques.
  Tout d'abord, cet événement est mise à part par des observateurs car, c'est si cette période d'émeutes a fait plusieurs victimes, dans aucun autre cas il ne s'agissait d'une attaque contre des civiles désarmés par des forces de l'ordre. C'est le rôle de l'armée britannique dans cet incident qui le rend singulier, comme le remarque les auteurs de These are real bullets : ' They were not random casualties from a terrorist bomb in a pub, the assassination of a member of parliament, or a sniper's shot at a policeman on patrol' . On comprend de ces propos que la violence communautaire était devenue une partie intégrante du paysage, d'autant plus que ces attentats, qu'ils viennent de l'IRA ou de l'UDA, étaient commis par des locaux. C'est donc l'élément d'intervention qui révolte le plus.
   Beaucoup a été écrit sur les racines du conflit nord-irlandais des 1960-70 que nous connaissons sous le nom de Troubles. Certains trouvent ces racines dans le traité de paix anglo-irlandaise qui a forcé l'Irlande à accepter la partition. Vue par certains nationalistes comme une mesure temporaire, cette partition a vécu jusqu'à nos jours, engendrant des tensions dans la partie ' amputée ' du territoire irlandais. Certains ont accusés les leaders du Rising d'avoir déclenché sans une nécessité réelle un conflit qui a amené à la division du pays, tandis qu'il aurait été possible d'accéder à l'autonomie de l'Irlande entière avec des moyens politiques. . Au fait, le problème nord-irlandaise, cette ' question ulstérienne ' comme l'appelle James Loughlin, en évitant à dessein le mot ' irlandais ' , gît au premier abord dans la spécificité de la région d'Ulster qui date d'une époque beaucoup plus lointaine.
  Depuis les temps de Henry VIII, la région ulstérienne a toujours été plus ' british ' que les autres. A l'époque de la réforme de l'Eglise, la Couronne a démarré un large programme d'anglicisation de l'Irlande à l'époque de la réforme de l'Eglise britannique. Le roi, et ensuite, la reine envoyait ses fidèles en Ulster, en leur assignant des terres confisqués aux chefs rebelles de l'Ulster. Une partie de nouveaux arrivants, les ' Ulster Scots ', n'étaient pas protestants, mais presbytériens. Au cours des siècles, l'église presbytérienne a souffert de certaines limitations qui n'atteignaient pourtant pas l'ampleur de la discrimination des catholiques. Les presbytériens ont fini par se ranger du côté des protestants au moment de l'Emancipation Catholique. Plus tard, au cours de la guerre où se sont affrontés James II, le dernier roi catholique de l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande, et le roi William III d'Orange, protestant, qui avait détrôné ce dernier, les ulstériens ont rejoint la cause protestante et ont été récompensés par la victoire finale de William et la protestantisation définitive d'Ulster.
  On reproche aux nationalistes un discours historique trop romanesque, mais ils n'étaient pas les seuls à se construire l'unité avec des symboles du passé. L'auteur de L'Irlande rebelle, un ouvrage qui représente une sorte de manifeste passionné d'un français adepte de démocratie plutôt qu'une vraie chronique historique des Troubles, offre néanmoins une caractéristique intéressante de l'auto-identification des protestants d'Ulster :
  Pour l'Ordre d'Orange et les unionistes, l'Irlande du Nord est terre protestante et sainte [...] Le mot Ulster [s'est chargé] au fil des décennies d'une formidable connotation religieuse [...] Le protestant d'Irlande du Nord qui énonce le mot Ulster proclame une vérité religieuse essentielle à la manière du juif fondamentaliste énonçant le nom d'Israel. Eretz Israel .
  Cette attitude protectionniste envers leur religion et leur communauté prend ses racines dans la période troublée de la protestantisation de l'Irlande. C'est la peur du 1641, quand leur voisins, des Irlandais catholiques, se sont soulevés pour commettre des atrocités contre les Anglais et les Ecossais protestants. Cette rébellion était une réaction à l'oppression des Catholiques par la récente Eglise anglicane, qui menaçait d'extermination l'Irlande toute entière, mais ce fait a été obnubilé par la violence particulière des rebelles. Ainsi, les pogroms de 1641, et les batailles qui ont suivi, et dans lesquelles une résistance ulstérienne était née, avec la victoire finale de William III, ont-elles été perçues par les protestants d'Ulster comme vitales, et leur religion, comme l'enjeu essentiel de ces batailles, et, en même temps, leur seul soutien. Ce sentiment d'être porteurs de la seule ' vraie ' religion et d'être constamment menacés par les voisins les plus proches, les protestants d'Ulster l'ont gardé à tout jamais; il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour ressurgir.
  These years were to provide a foundation myth for subsequent generations of Ulster Protestants; a myth embodied in the cry 'No surrender' that stressed the lesson of Protestant Unity and eternal vigilance against the Catholic threat to their rights and privileges, which could only be secured if Catholics were kept in subjection.
  Depuis, l'Ulster a toujours été une région à part en Irlande, au point que, lors de l'élaboration du projet de Home Rule au début du XXe siècle, il a été suggéré que les provinces d'Ulster restent en dehors du parlement autonome ; on proposait aussi une ' autonomie dans une autonomie ' qui envisageait des pouvoirs spéciaux pour l'Ulster à l'intérieur d'un parlement dublinois, ou bien son exclusion de ce parlement. Ce qui mettait en question ce projet de l'exclusion, c'est le fait que, malgré une forte population protestante, il y avait des catholiques en Ulster, dont le nombre pouvait fragiliser la majorité protestante dans un parlement ulstérien. Il faut remarquer que ce projet de Home Rule était fortement contesté par les protestants d'Ulster eux-mêmes : se sentant menacés, ils ont signé la ' Convention d'Ulster ' (Ulster Covenant) proclamant qu'ils étaient en droit de protéger leur citoyenneté britannique, y compris par des moyens militaires ; ce sont eux qui ont formée la première organisation de défense civile, les Ulster Volunteers. Une solution trouvée juste avant la Première Guerre Mondiale, la sortie possible des Comtés du Nord du Home Rule, n'a pas satisfait les unionistes. Après la guerre, pendant laquelle les Ulstériens ont fait preuve de leur fidélité à la Couronne, le Soulèvement de Pâques a réactualisé la question irlandaise et celle du Home Rule ; et la guerre anglo-irlandaise qui a suivi quelques quatre ans après, a exigé une solution urgente. Une solution singulière dans le sens qu'elle n'arrangeait aucun des partis.
  Personne, à l'origine, ne souhaitait cette partition: ni les nationalistes qui luttaient pour l'économie ou l'indépendance de l'ensemble de l'île, ni les unionistes qui voulaient simplement rester britanniques, ni Londres qui a fini par accepter en 1913 le Home Rule pour toute l'Irlande avant de concevoir et d'imposer cette partition en décembre 1920, cédant à l'opposition déterminée des protestants au nord-est de l'île .
  L'Irlande du Nord a donc été créée en 1920, par le Governement of Ireland Act, révisé en 1922, quand les Six Comtés du Nord ont refusé de devenir partie autonome du Free State, et choisi de rester britanniques. Le Royaume-Uni a gardé sa souveraineté sur l'Irlande du Nord, où il était maintenant représenté par un gouverneur. L'Irlande du Nord a reçu son propre parlement, Stormont, dont les décisions, quoique limitées, concernaient des domaines de vie importants, y compris la justice et la police.
  Le premier signal d'alarme a retenti au moment de la réorganisation du gouvernement local à Belfast ; cette réorganisation n'a pas reçu l'approbation du Westminster, mais celui-ci a finalement choisi de ne pas intervenir ; la même réaction a suivi la décision du Parlement nord-irlandais d'abolir la représentation proportionnelle aux élections, créant ainsi un précédent de la non-intervention ' A fateful precedent was set, whereby Westminster abrogated any attempt to oversee the internal affairs of Northern Ireland, thus allowing the regime to pursue policies that would eventually result in the civil disorder of 1969' . De même, le Westminster n'a pas réagi aux pogroms de catholiques dans les années 1930.
  L'ambition des leaders d'Ulster après la partition était ' un Parlement protestant et un peuple protestant ' ; un but qu'on voit déjà atteint dans les années 1930. A cette époque, l'Irlande du Nord était un pays dominé par les unionistes, la minorité catholique existant de façon sectaire, comme ' un état dans un état '. Ce sectarisme n'a cessé de se renforcer et se préciser dans les décennies suivantes.
  Le gouvernement d'Ulster par les unionistes se signale par deux grands traits. D'une part il réussit à maintenir sous sa coupe l'ensemble de la population protestante qui vote massivement et systématiquement pour lui à chaque élection durant la période. Là se trouve sa force principale. D'autre part il pratique, ou laisse pratiquer, de la discrimination envers la minorité catholique dans plusieurs domaines dont le droit de vote et l'emploi sont les principaux .
  Ce régime de ségrégation en Irlande du Nord, assez singulier pour un pays européen du XX siècle, au point qu'on le qualifie de ' véritable aparthéid européen ' qui a quasiment évincé les catholiques des postes à prestige, et a fait preuve d'une discrimination politique de la communauté catholique, ainsi que d'une sévère discrimination économique, en particulier, dans le domaine du logement et de travail, les catholiques l'ont accepté sans réagir de façon significative jusqu'aux années 1960. L'IRA, après quelques coups de main et une inefficace ' campagne des frontières ' a été tenue en échec par les autorités et a quasiment disparu de vue ; l'absence de support de l'autre côté de la frontière y a fortement contribué. Le vent de changement a soufflé avec la venue au pouvoir de Terence O'Neill, un nouveau premier ministre que la crise économique en Irlande et le fort taux de chômage avaient fait élire, et dont l'œuvre était non seulement la diversification de l'industrie, assainissant l'économie irlandaise, mais aussi, la quasi-absence de discrimination à l'embauche. Cette période, au début, était apparue comme une sorte de ' dégel ' dans les relations entre les deux communautés, d'autant plus qu'elle correspondait au tournant dans la perception de l'Eglise protestante par le Vatican et l'appel à la réconciliation après des siècles d'hostilités. Le mouvement civil aux Etats-Unis, qui a enflammé les ' nègres blancs d'Ulster ' , mais, au lieu de soulever des problèmes traditionnellement nationalistes, au début les manifestations inspirées par l'Amérique Noire touchaient strictement aux questions économiques et civiques.
   Mais en réalité, c'est la politique d'O'Neill qui a fini par enflammer les deux camps : d'un côté, il n'était pas assez progressiste pour les catholiques; de l'autre côté, pour les protestants, O'Neill était trop indulgent envers les catholiques, et, selon la mémoire génétique de la communauté protestante, une telle indulgence n'était autre que négligence coupable. Un de ces gestes les plus contestés était d'autoriser la manifestation en l'honneur de l'Easter Rising ; ce geste a monté contre lui les extrémistes protestants, car O'Neill a mis le pied sur le terrain le plus dangereux : celui du symbolisme. Le ' syndrome des assiégés ' dont les protestants d'Ulster ne s'étaient pas totalement libérés, a réapparu. Des organisations paramilitaires ont surgi, dont l'UVF (Ulster Volunteer Force, au même nom que portait l'armée d'Edward Carson en 1913). Cette milice est devenue la première organisation protestante à être interdite par le Special Powers Act, jusqu'alors réservé aux catholiques.
  A partir de 1962, des organisations de droits civils ont commencé à apparaître, bientôt réunies par la NICRA (Northern Ireland Civil Rights Association). Cette organisation qui se voulait indépendante de l'antagonisme religieux a commencé par des manifestations non-violentes, mais ce sont elles, finalement, qui ont servi de prétexte pour la violence. Car, malgré l'absence d'objectifs nationalistes, la NICRA et les organisations similaires ont été perçues comme des organisations catholiques et nationalistes, et combattues comme telles.
  Il faut noter que les Troubles étaient essentiellement un conflit urbain, localisé dans quelques villes, le point de départ des Troubles étant donné par une explosion de violence lors d'une marche étudiante entre Belfast et Derry, quand les marcheurs ont été attaqués par des unionistes extrémistes, les ' Volontaires protestants d'Ulster ' qui avaient pour leader le pasteur protestant Ian Paisley. Paysley qui a ensuite proposé sa candidature aux élections parlementaires, était un protestant et un unioniste très conservateur, qui voyait d'un mauvais œil les ' faveurs ' accordés au catholique et l'œcuménisme proposé par Vatican. Les violences ont continué ; à Derry (dans le de Bogside) et à Belfast, où les protestants ont fait de véritables ' pogroms ' contre les catholiques, la population catholique a riposté ; Free Derry, ' Derry libre ' incluant les quartiers catholiques de la ville, est devenue une ' ville dans la ville ' contrôlé par les forces citadines, encadré plus tard par l'IRA, et où la police ne pouvait pas entrer. Le conflit a fait ré-émerger l'IRA (qui s'était divisée en deux branches, l'IRA officielle, qui prônait les méthodes de lutte politiques et marxistes, et l'IRA provisionnelle, plus extrémiste et beaucoup plus active au cours des Troubles). De l'autre côté, agissaient des organisations unionistes, telles que l'UDA et l'UVF,. La situation devenant extraordinaire, la Grande-Bretagne a finalement décidé d'intervenir. Les troupes britanniques arrivant en Irlande en été 1969, ont commencé par pacifier les protestants, ce que leur a valu la reconnaissance de la part de la communauté catholique. Pourtant, à partir de l'août 1970, quand l'armée a raflé un quartier catholique de Belfast à la recherche des armes, le souvenir de la violence anglaise et la vielle hostilité ont ressurgi ; on s'est souvenu que les racines mêmes du conflit étaient dans la présence anglaise dans la région, comme l'a déclaré le Président de Sinn Fein Gerry Adams :
  By its very nature the British presence is not and never has been a just or peaceful presence and because of this relationships between British and Irish people have been poisoned. When the root cause of violence in Ireland is removed then and only then will the violence cease.
  Ainsi, la veille du Bloody Sunday l'Irlande était déjà rentrée dans l'atmosphère des batailles d'autrefois, quand les Irlandais catholiques étaient persécutés sur leur territoire par l'armée de la Couronne secondée par les protestants. L'histoire émergeait dans les quartiers urbains d'une Irlande de XX siècle.
  
  1.2.3.1. SUNDAY, BLOODY SUNDAY
  
  Les victimes du Bloody Sunday participaient à une marche interdite par les autorités, contre l'internement sans tribunal. Un bataillon de l'Armée Britannique (les Paras, 1st Battalion Parachute Regiment), a ouvert le feu sur les manifestants. Comme plusieurs témoins avaient deposé, les gens sur lesquels les soldats ont tiré, n'étaient ni armé ni dangereux: ' there is no evidence that any of the deceased was engaged in attacking soldiers at the time of his death; on the contrary, most of them were fleeing from the soldiers' . Aucun soldat, pourtant, n'a été poursuivi pour avoir tiré.
  La ville de Derry (Londonderry) est située à la frontière nord-ouest de l'Irlande. Sa population à l'époque était de 55 000 habitants environ, dont 33 000 vivaient dans les arrondissements 'catholiques ' (Bogside et Creggan) A l'époque du Bloody Sunday, Bogside était entièrement contrôlé par l'IRA, la police et les forces britanniques n'y pénétraient pas. Cette situation déplaisait fortement aux Britanniques qui cherchaient une occasion d'étendre leurs opérations militaires jusqu'à l'intérieur de Bogside. L'auteur d'un ouvrage consacré aux services de contre-insurrection britanniques indique que c'était l'erreur tactique essentielle amenant à la tragédie du Bloody Sunday : ' The most serious error though was in allowing the Bogside to become a 'no-go' area in the first place. To allow any part of a sovereign state to be so recognized was to admit, albeit tacitly, that government authority was somehow not legitimate' .
   Quelques jours plus tôt, une autre manifestation a eu lieu à près du camp d'internement à Magilligan, qui a été violemment réprimée par l'armée.
  En résumant les événements de ce dimanche-là, après avoir parcouru les témoignages des participants de la marche, des écrivains et des historiens, nous recevons un tableau suivant.
  Une manifestation de la NICRA dont les leaders voulaient éviter toute violence et attirer l'attention au respect des droits de l'homme (les chefs du mouvement ont contacté préalablement les représentants de l'IRA pour leur demander expressément de rester à l'écart lors de la manifestation et ont obtenu une réponse positive, ce qui explique le fait que l'IRA n'a pas pu riposter à l'attaque britannique, en dehors de quelques tirs éparpillés) ; une manifestation dont beaucoup ont souligné le caractère jovial et ' carnavalesque ' , procède sans problèmes apparents, en suivant le camion qui devait servir de plateforme à Bernadette Devlin et d'autres orateurs, jusqu'à la barrière de l'armée anglaise au carrefour de Rosswill Street et William Street . Cette barrière avait en fait pour but d'empêcher la colonne d'avancer vers Guildhall, qui avait été au début proposé comme le point final de la marche. La majorité des marcheurs ont suivi la déviation imposée par les Britanniques et se sont dirigés vers le Free Derry Corner, où les orateurs devaient tenir leurs discours. Pourtant, quelques 200 personnes (jeunes pour la pluparts) sont restées face à la barrière, à proférer des insultes et à jeter des pierres aux soldats, provoquant une réponse sous forme de balles en caoutchouc, de jets de peinture liquide et de gaz lacrymogène. Il semble que c'est en ce moment que les soldats ont demander l'autorisation d'intervenir et l'ont reçue. Les agents de sécurité bénévoles essayaient de retenir les chahuteurs, avec un certain succès. Quelques minutes plus tard, les manifestants ont entendu le bruit de coups de feu ; ils se sont mis à descendre en courant la Roswille Street, et c'est en ce moment que, selon les témoignages, les premières victimes ont été faites. Peu après l'attaque au gaz, des voitures blindées, les Saracens, ont apparu dans les rues. Elles descendaient vers Rossville Street. Deux ont tourné dans le Rossville car park, une troisième a continué à monter Rossville Street jusqu'à la ' barricade de décombres ' (Rubble Barricade), d'autres encore poursuivaient les manifestants dans Chamberlain Street. Ils étaient secondés par une voiture blindée ' Whippet ' avec une mitrailleuse chargée et un lourd camion militaire rempli de soldats et de Paras. Ces derniers descendaient des voitures, se mettaient dans la position de tir et ouvraient le feu sur la foule.
  Au Free Derry Corner, Bernadette Devlin a annoncé à la foule la venue des soldats et a appeler à ' tenir son terrain ', car il y aurait 15 manifestants sur 1 seul soldats et qu'ils ne pouvaient pas physiquement arrêter tous. En ce moment, les premiers coups de feu ont retenti. Les gens ont entendu le bruit atypique qui ne pouvait être celui de balles de caoutchouc :
  These sounds were clearly distinguishable from the sound of rubber bullets or CS Gas being discharged. I said to Danny, "That sounds different, doesn't it?" He replied something like, "I'm afraid it was."
   Le feu ne cessait pas, les manifestants qui voulaient porter secours à leurs camarades touchés par des balles, risquaient d'être tués eux-mêmes, comme c'est arrivé, par exemple, à Barney McGuigan qui a été abattu malgré le mouchoir de poche blanc qu'il avait déployé à l'intention des soldats. Un autre mouchoir de poche, tâché du sang d'une des victimes, apparaît sur la photo la plus connue de ce dimanche-là, devenant un symbole. La fusillade a duré près d'une demi-heure, concentré pratiquement sur un quartier de la ville :
  Most of those shot dead on 'Bloody Sunday' were killed in four main areas: the car park (courtyard) of Rossville Flats; the forecourt of Rossville Flats (between the Flats and Joseph Place); at the rubble and wire barricade on Rossville Street (between Rossville Flats and Glenfada Park); and in the area around Glenfada Park (between Glenfada Park and Abbey Park). [...] .
  Au procès qui a suivi, les membres du 1 Para affirmaient qu'ils avaient ouvert le feu en réponse aux coups de feu de la part des tireurs de l'IRA. Or, selon plusieurs témoins qui se trouvaient dans les rues, les tirs n'ont suivi qu'une seule direction, et personne n'a remarqué une attaque qui aurait pu solliciter une telle réponse de la part des forces britanniques. L'IRA a toutefois avoué d'avoir posté quelques membres aux approches de la barrière, mais, même s'ils avaient tiré avant l'ouverture du feu par les forces britanniques (ils ont affirmé le contraire), ils n'auraient pas pu créer ' un feu intense et régulier ' (a heavy and sustained fire) auquel se référaient les soldats au cours du procès. D'ailleurs, il était universellement connu parmi les manifestants que l'IRA avait décidé de ne pas intervenir, et, comme le sous-entend R. McLean, du moment que tout Derry le savait, les services de renseignements britanniques devaient également être au courant . Il n'y a eu aucun mort ou blessé parmi les soldats (le pantalon d'un soldat était touché par l'acide qui n'a pas atteint la jambe). Un autre détail qui a provoqué beaucoup de polémique, était le choix de l'unité militaire pour l'encadrement de la marche : les 1 Para étaient une unité d'élite, que l'on introduisait sur scène quand il s'agissait d'intervenir en force (comme en Egypte ou en Bahrain) ; une précaution exagérée lors d'une marche pour les droits civiques. Au tribunal, il était question de tirs ciblé sur des gens armés ; sur le corps de l'une des victimes (Gerard Donaghy), on aurait trouvé des bombes à clous, ce qui pourtant allait à l'encontre du témoignage du médecin ayant examiné le jeune sur place . Le fait de blesser une femme et un adolescent de 15 ans n'a pas non plus servi à confirmer cette version du tir ciblé.
  Presque dans tous les témoignages recueillis par la NICRA, se répète, comme une litanie, l'affirmation que les victimes n'avaient sur elles aucune arme, et que personne n'a entendu le bruit de bombes à clous ou à gelinite, qui étaient l'arme courante chez les IRA.
  I, like many of my fellow citizens of Six Counties, can tell the difference between nail bombs and Thompsons. I know when petrol bombs have exploded. But I can say without fear that there were no nail or petrol bombs or shots fired from the flats or any place at the B.A. They and they alone were the first ones that opened up with their rifles and whatever else they had to throw to the marchers .
  Le 'they' de cette déposition témoigne clairement de la signification de cette journée, qui a définitivement ramené le conflit dans son ancienne source: il ne s'agit plus d'un conflit intercommunautaire, mais bien de la guerre perpétuelle contre les Anglais.
  Les témoignages, en fait, se ressemblent beaucoup : tous insistent sur le fait qu'il ne s'agissait pas de tirs égarés, mais que les meurtres ont été perpétrés en sang-froid, sur des victimes qui n'opposaient pas de résistance, et affirment qu'aucune discrimination n'était fait par rapport aux victimes : les volontaires de la Croix-Rouge et les prêtres cherchant à donner aux victimes les dernier sacrements, couraient le même danger que les autres, et la nécessité de s'abriter du feu les a souvent empêchés de venir à l'aide à temps.
  Le brigadier Andrew McLellan avait été chargé de superviser la marche. Le plan initial aurait été de photographier les marcheurs, pour pouvoir ensuite les persécuter pour avoir participé à la marche illégale, sans intervenir lors de la marche elle-même. Or il semble, que les 1 Para ont reçu les instructions différentes : il s'agissait de faire des arrestations et de pénétrer dans le quartier ' interdit ' de Bogside. Les soldats ont été préparés à une possible attaque du côté des démonstrateurs ; en fait, le Colonel Derek Wilford qui commandait les Paras, a avoué :' When we moved on the streets we moved as if we in fact were moving against a well-armed well-trained army' . Il était difficile d'établir si l'intervention de l'armée avait été l'initiative de McLellan ou si, comme certains ont témoigné, les soldats s'étaient rués à l'assaut des manifestants sans attendre l'ordre; si les Paras étaient les seuls à tirer, ou bien si un autre régiment, stationné sur les Murs de Derry, avait également participé; combien de fois et pendant combien de temps chacun des soldats avait tiré.
  Le gouvernement de la Grande-Bretagne a ordonné une enquête sur cet incident, dont on a chargé Lord Chief Justice, Lord Widgery. Son rapport, publié en avril 1972, a été largement critiqué. L'enquête a débuté avec quelques impératifs qui tenaient plus au désir de gagner ' la guerre de propagande ' qu'au respect de la vérité. Elle devait prendre aussi peu de temps que possible, examiner si les soldats ont tué sur la foule ou sur des cibles précis, et non pas si les gens sur lesquels ils ont tiré étaient armé ; ne prendre en compte que l'incident lui-même, du premier coup de feu au dernier, sans considérer d'autres événements de la journée ou les prémisses de l'incident. Le tribunal de Widgery, en particulier, n'a pas pris en compte quelques 500 rapports de témoins oculaires, recueillis par la NICRA immédiatement après l'incident. Il a aussi négligé d'appeler à la barre des témoins l'un des deux médecins qui avaient porté secours aux blessés.
  A la fin, Lord Widgery a statué :
  None of deceased or wounded is proved to have been shot whilst handling a firearm or a bomb. Some are wholly acquitted of complicity at such action; but there is a strong suspicion that some others had been firing weapons or handling bombs in the course of the afternoon and yet others had been closely supporting them' .
  Ainsi, en avouant pratiquement que le feu ouvert par les soldats était injustifié, il accuse en même temps les victimes de la marche de l'avoir provoqué. Il a fallu dix-sept ans pour prouver l'innocence des victimes, aussi paradoxale que cette expression puisse paraître. En 1998, Tony Blair a ordonné une nouvelle enquête à Lord Saville, et le 15 juin 2010 ses résultats ont été rendus publics. Cette enquête a été menée de façon beaucoup plus méticuleuse, or, le problème était dans l'instabilité de la mémoire des témoins, résultant dans les dépositions soit différant de ce qui a été dit pendant la première enquête, complètement contraires. Comme c'est exprimé dans le rapport lui-même,
  There were fundamental and irreconcilable differences of perception between some of those present in Londonderry on the day, including both soldiers and civilians. Emotions (particularly fear and hatred) were running high and this inevitably led some of those who gave accounts of the day to recall events in a less than objective way, ascribing nothing but evil intentions and actions to those they regarded as the enemy and nothing but good to those they regarded as on their side .
  Le rapport de Saville a établi que l'essentielle responsabilité devrait être portée, d'abord, par le Colonel Wilford qui a soit mal interprété l'ordre de son supérieur, le Brigadier McLellan, soit y a ouvertement désobéi, en amenant les 1e Para dans les rues où ils se sont confrontés à la foule de manifestants ce qui aurait rendu impossible, même si à l'origine c'était l'objectif des soldats, de séparer les chahuteurs de simple manifestants ; ensuite, par les soldats eux-mêmes qui, se retrouvant dans une ambiance qu'il considéraient d'emblée comme hostile, ont réagi d'une façon exagérée . Le rapport de Saville a dégagé de toute responsabilité les organisateurs de la marche que le rapport de Widgery avait implicitement reconnus coupables, ainsi que les participants de la manifestation. L'innocence des victimes a finalement été reconnue ; or, il est difficile à dire si ce rapport a satisfait les proches des victimes, qui étaient resté tout ce temps dans un état de deuil suspendu. Car, même si le rapport de Saville attribue la faute aux militaires anglais, toutes les accusations portent sur des subalternes qui d'ailleurs restent toujours anonymes, tout comme dans l'enquête Widgery. La question de la raison d'envoyer les troupes d'élite tels que Paras à une manifestation pacifique n'a pas non plus été abordée. Cela a fait certains auteurs se demander avec amertume à quel point on peut compter sur cette enquête pour révéler la vérité :
  If soldier A admits to firing the shot that killed McGuigan, the inquiry's aim is satisfied, even if he remains identified. But will this soldier also admit that he was mistaken in suggesting McGuigan had a gun or a bomb? And will he confess that he shot a man waving a flag of truce?
  Aucune poursuite personnelle n'a eu lieu, et même si l'on n'exclut pas des procédures pénales éventuelles, les données recueillies au cours de l'enquête ne pourront y être utilisés.
  Tout de même, cette enquête fondée sur l'audition de 921 témoins, dont plusieurs soldats et membres de l'IRA, 2.500 déclarations écrites et 60 volumes contenant des preuves, et ayant coûté 234 millions d'euros au gouvernement britannique, a finalement fait avouer que les actions des Paras ce dimanche-là étaient ' injustifié et injustifiable '.
  
  1.2.3.2. LES CONSEQUENCES DU BLOODY SUNDAY
  
  Le lendemain du Bloody Sunday, il régnait en Irlande du Nord une ambiance de choque. Les gens n'arrivaient pas à croire que les soldats aient pu tirer sur les innocents. ' It confirmed how easy it must be to die, how readily some people would kill you' . Les résultats de l'enquête Widgery n'ont fait qu'amplifier ce choque. ' The British state at the highest level [...] has proclaimed that the killings were neither wrong nor illegal' . Ce sont en fait les civiles qui ont été criminalisés par le fait d'avoir pris part à une marche qu'ils savaient être illégale.
  Pour la plupart des auteurs ayant écrit sur Bloody Sunday (notons que la majorité absolue des ouvrages ont été écrit par les auteurs catholiques et occupent une position anti-britannique assez forte), il est indiscutablement l'événement qui a transformé le cours des Troubles : ' a definitive event, one so blatantly anti-Irish that it could not be ignored ' , ' the symbolic climax of the process of alienation ' , et, pour les services de sécurité britanniques, ' a counterinsurgency disaster of major proportions '.
  L'IRA avait recommencé ses activités avant le Bloody Sunday, et les forces britanniques étaient déjà perçues par le peuple comme une force hostile. Mais ce dimanche-là, semble-t-il, l'Irlande a été replongée tout d'un coup dans le passé. Ce passé qui émergeait déjà quand les protestants s'étaient souvenus de l'appel ' No surrender ' du siège de Derry ; qui faisait la nouvelle - et plus violente - branche de l'IRA se nommer ' IRA Provisionnelle ' en souvenir de la ' République Provisionnelle de l'Irlande ', proclamée sur les marches du GPO.
  Le Bloody Sunday, si l'on le considère de près, est intéressant dans le sens que, même si c'est l'événement central des Troubles, conflit anti-communautaire, il n'implique pas les protestants et unionistes en tant que force adverse aux catholiques. Les seuls protestants ulstériens dont il s'agit dans les rapports de ce jour-là, participaient à la marche et, selon leurs témoignages, étaient aussi indignés de ce qui s'était passé. La tragédie du Bloody Sunday est une affaire entre les Irlandais Catholiques et les Anglais. ' This was a very British atrocity, and the biggest single killing by state forces in the course of the Troubles', comme le statue Eamonn McCann dans 'The Bloody Sunday Inquiry' .
  La peur devant l'armée anglaise a changé la perception de l'IRA dont les membres ont endossé la fonction des défenseurs de la communauté. En effet, R. Maclean fait part de la peur qu'il avait senti ce jour-là en se retrouvant dans la rue désarmé : ' I knew the IRA were not firing and I thought to myself, 'My God, these soldiers are going to shoot us all. ' C'est sans doute cette crainte de se retrouver sans défense devant une force hostile et puissante que les catholiques se tournaient vers l'IRA. Mais ce n'était pas la seule raison. Cette attaque de la part de la Grande-Bretagne a permis de ramener le discours des questions sociales et civiques vers les problèmes plus familiers de la partition et la résistance républicaine/nationaliste contre la Couronne Britannique. Remarquons que pour l'Irlande du Nord cette substitution du thème dans le discours a été particulièrement facile à faire, car il semble que les habitants de l'Ulster sont en général plus sensibles aux questions de l'appartenance et d'antagonisme ethno-religieux qu'aux questions de nature sociale :
   'The nation and ethnie have [...] come to represent the principal authors of political allegiance within the six counties due largely to their ability to produce particularly persuasive discursive forms. [...] Ethnonational communities have managed to lay stronger claims than social classes to the political loyalties of people living in Northern Ireland not because they have greater material significance, but rather because they tell better stories' .
  La possibilité de la construction d'une société civile et civique a été supprimée par cet incident. ' Bloody Sunday is not just the day on which thirteen unarmed civilians died in Derry's Bogside, it is also the day when the British Army effectively killed the Northern Ireland Civil Rights Association'. A partir de ce dimanche-là, il ne s'agissait plus de droits civiques, mais du combat nationaliste/républicain, et le discours de ce combat a englobé tous les griefs de la population minoritaire, la discrimination économique aussi bien que la présence des troupes anglaises dans la région et la Partition. Comme le disait John Hume, le fondateur du Social Democratic and Labour Party, au lendemain de Bloody Sunday, l'ambiance générale à Derry était ' l'Irlande unie ou rien ' .
  Au fait, on voyait qui rien n'avait changé : l'Angleterre, dans les années 70, était toujours l'Empire dominateur qui pouvait exterminer les Irlandais pour la seule raison d'élever la voix contre la Couronne, d'être Irlandais et Catholique. La médiatisation du conflit à travers l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne n'a fait que renforcer ce sentiment. Le lendemain de la tragédie, le Daily Mail est sorti avec un éditorial qui annonçait : ' Those who died were not martyrs to Civil Rights [...] They were terrorists, or fodder for terrorists' . Les journaux britanniques après le rapport de Widgery, dans des articles que se vantaient de savoir 'Ce qui s'est passé le Dimanche Sanglant' (What happened on Bloody Sunday) suggéraient que, si ces hommes n'étaient pas coupables, ils étaient certainement responsables de leur propre mort. Voici comment le journaliste Malachie O'Doherty décrit la rédaction de l'article sur l'événement pour Sunday Times :
   ' No comment. No loaded language. '
  'Can I use the word 'massacre?' '
  'No, you can't. '
  'But what is the dictionary definition of massacre? '
  'I don't fucking care. '
  Les médias nord-irlandais, soumis à l'objectif de gagner les cœurs et les esprits, dans cette guerre de propagande, présentaient le Bloody Sunday comme une manifestation ayant dégénéré vers la violence suite aux actions des manifestants, parmi lesquels on pourrait présumer des membres de l'IRA. La situation avec la liberté de presse dans l'Irlande du Nord pendant la période des Troubles était catastrophique, car le Stormont et, surtout, la Grande-Bretagne voulaient imposer leur point de vue sur les événements, le seul qui leur paraissait légitime. Il n'était pas question de laisser la parole aux groupements catholiques ; Sinn Fein était interdit d'antenne, et l'accès des journalistes étrangers aux informations était restreint.
  The comparative profligacy of the state has served to ensure that the official version of the Northern Irish conflict is the one heard with greatest regularity. Furthermore, Westminster administrations that have formed during the present troubles have constrained the freedom of the media. Possession of those substantial legal powers has enabled the metropolis to marginalise alternative, dissenting perspectives of the Northern Irish problem .
  Les proches des victimes, les témoins du massacre, se sont retrouvés dans un vacuum informationnel, une sorte de réalité parallèle. Ainsi, ont-ils commencé à élaborer leur propre récit des événements, alternative à la version officielle. Or, ce récit, imprégné d'émotions et de position prise, n'aurait su reconstruire la vérité qui devrait se trouver au milieu des deux versions... Herron et Lynch, les auteurs de Bloody Sunday : Ethics, Representation, Justice attirent notre attention à la crédibilité que la communauté catholique accorde à toute source de vérité ' alternative ', que ce soit un livre ou un film. Le discours de ces sources alternatives est, encore une fois, un discours de martyre. Mais ce martyre est différent de celui de l'Easter Rising ou du Long Kesh. Les récits des événements, à l'instar de ceux que Don Mullan a recueilli dans Eyewitness Bloody Sunday et qui ont ensuite servi à produire le film homonyme, soulignent l'innocence des victimes et l'inattendu de l'attaque et, dans ce sens, rappellent plutôt les témoignages des survivants d'un acte terroriste. Dans ces témoignages l'accent se fait souvent sur le comportement violent des soldats contre femmes et prêtres, les catégories traditionnellement considérées comme sacrées dans une communauté catholique. Ces rapports traduisent un message assez net : n'importe qui, vous ou moi, aurait pu se trouver à la place des victimes ' pour définir l'armée britannique comme une force extérieure et naturellement hostile, en introduisant l'événement dans la polémique de guerre. L'anonymat de cette force a été souligné par les Britanniques eux-mêmes, quand, dans l'enquête Cette polémique légitime l'IRA qui, tel un état dont les habitants ont été attaqués, se doit de riposter, en faisant exploser la base militaire à Aldershot (Angleterre) . Dans cette explosion, ' the supposedly socialist wing of republicanism succeeded in killing five cleaning women, a gardener and an army chaplain '. Cet attentat sanglant a été perçu comme une vengeance légitime. Cette journée a reçu le nom ' symétrique ' du Bloody Friday.. Dans cette optique, la suspension du Stormont qui a suivi en mars 1972, même si elle a d'abord été considérée par l'IRA comme un signe de faiblesse de l'Angleterre, se perçoit comme une déclaration de guerre entre l'Angleterre et l'Irlande nationaliste. Il était temps pour l'ancien discours républicain de ressurgir et d'affirmer que l'Irlande sans liberté ne sera jamais en paix.
  
  1.2.3.3. LE PARADIGME ONOMASTIQUE.
  
  Quelles unités doit-on inclure dans le paradigme nominal de mémoire pour le Bloody Sunday ?. Bien sûr, il y a les noms des morts et les noms des rues où les coups de feu ont retenti : Rossville Street, William Street, Glenfada Park... Devons-nous, à l'instar de Lord Widgery, nous limiter dans ce paradigme par l'incident lui-même ? Les entités telles que l'IRA, ou L. Widgery lui-même, doivent-ils également prendre place dans ce paradigme ?
  Remarquons que pour le Bloody Sunday, les images paraissent plus importantes que le texte. Si le soulèvement de Pacques s'est produit à l'époque des journaux, le Bloody Sunday a été médiatisé à l'aide des images. Ce sont les photos des défunts qu'exhibe la foule pendant les marches commémoratives comme lors des processions religieuses ; des peintures murales qui reprennent ces photos dressées au-dessus de la marche commémorative qui acquièrent une importance particulière. ' The presentation of faces as synecdoche for entire communities' fears, successes and aspirations is a striking element of Northern Irish political imagery'. Cette opposition des visages ouverts des victimes à ceux des combattants de l'IRA présumés, couverts de masque, sert à imposer leur innocence et les faire considérer comme des êtres humains, et non comme des représentants d'un cliché sur la communauté en guerre. Cette importance de l'image diminue-t-elle la signification des noms ?
  I. LE PRAXONYME : UN NOM D'EVENEMENT POLYSEMIQUE
  
  Contrairement au Rising, on voit que dans le cas du Bloody Sunday, l'application du nom est immédiate. Le praxonyme ne présente pas de variations au cours de son développement, comme c'est le cas de l'Easter Rising, il est apposé comme tel sur l'événement. Strictement parlant, pour nommer cet événement, on n'a pas inventé de praxonyme, mais on a puisé dans le fond lexico-discursive de l'histoire pour trouver un nom déjà existant, désignant un fait avec un ensemble de caractéristiques similaire.
  Le premier Bloody Sunday n'a pas eu lieu en Irlande du Nord, mais à Londres, le 13 November 1887, lors d'une manifestation organisée par la Social Democratic Federation et l'Irish League, pour la libération de la prison de William O'Brien ; lors de la manifestation, de violentes altercations avec la police ont eu lieu, faisant 3 morts et plusieurs blessés. Mais le Dimanche le plus sanglant (Krovavoje Voskresenie) s'est produit en Russie, en janvier 1905. Ce nom a été donné au massacre d'une manifestation pacifique pour les droits des ouvriers à Saint-Pétersbourg par la police du tsar. Après une vague de grèves des ouvriers qui protestaient contre de dures conditions de travail et l'oppression politique, une pétition a été élaborée pour être présentée au tsar. Dans cette pétition, ils exigeaient, avant tout, un parlement, mais aussi, l'amnistie pour les prisonniers politiques, l'abolition de la censure et l'amélioration des conditions du travail. Les ouvriers (près de 30 000 personnes) ont marché en plusieurs colonnes, menés par un prêtre orthodoxe, Père Gapon en direction du Palais d'hiver pour présenter leurs demandes au tsar Nicolas II. Or, l'armée qui avait reçu l'ordre de ne pas laisser la foule s'approcher du Palais d'hiver, a commencé à tirer sur les colonnes. Le nombre de victimes varie, selon des sources différentes, de 99 à 130. Ce massacre a provoqué une vague de grèves et manifestations, et a servi du catalyseur à la Révolution russe. En russe et en anglais, cet événement demeure homonyme au massacre de Derry ; en français, il a reçu le nom du Dimanche Rouge (on peut supposer que ' rouge ' a remplacé ' sanglant ' car le rouge a longtemps été la couleur générique de référence à la Russie). En Irlandais, il est appelé Sléacht Dhomhnach na Fola (Carnage du Dimanche Sanglant) ce qui évite de le confondre avec le Dimanche Sanglant de Derry.
  Sans doute, les deux événements présentent-ils une ressemblante frappante, et il n'y a rien d'étonnant que le nom ait été ' calqué '. En anglais, la construction ' bloody + nom d'un jour de la semaine ' est très répandue dans la nomination des événements. Nous avons compté treize événements ayant reçu le nom de Bloody Sunday ; dans 8 des cas ce nom désigne des violences lors de manifestations (de l'Angleterre, en passant par les Etats-Unis et jusqu'à la Lithuanie). Une autre catégorie d'événements portant ce nom est de nature plus ambigu ; c'est à cette catégorie que ce rapportent deux autres événements de l'histoire de l'Irlande, baptisés également Bloody Sunday. Il s'agit, d'abord, du 21 novembre 1920, quand à Dublin l'IRA a assassiné 14 agents britanniques, en provoquant la riposte des Anglais qui ont ouvert le feu sur un match de football gaélique, faisant 14 victimes. Le deuxième se rapporte à une explosion de violence dans l'Irlande du Nord lors de la Guerre Anglo-Irlandaise, quand un dimanche du juillet 1921, 16 civiles ont été tués et 161 maisons (catholiques pour la plupart) ont été détruites. Le praxonyme Bloody Sunday ne se limite pas à nommer des explosions de violence en Irlande ; par ce praxonyme, on réfère également à un massacre des Allemands par les Polonais au début de la Deuxième guerre mondiale, et une tuerie en Afrique pendant la Guerre des Boers. Ainsi, ce nom de mémoire comporte-t-il deux significations : 1) une répression violente d'une protestation pacifique : 2) Une explosion de violence particulièrement meurtrière lors d'un conflit. Il est possible également qu'une des significations dégagées pertinente pour notre contexte soit ' un événement qui s'est passé en Irlande '. Ces significations peuvent être mises en jeu de manière diverse ; or, la popularité de ce praxonyme changera la nature de son analyse en tant que nom de mémoire. En fait, si le praxonyme unique, tel que l'Easter Rising, réfère à une situation extralinguistique et évoque des associations liées à cette situation, dans le cas de l'homonymie du nom propre non seulement on ne saura toujours dire à quelle situation extralinguistique il réfère, mais cette nécessité de lier le praxonyme à une situation disparaît car le nom, tel un nom propre en voie de devenir nom commun, un don juan ou un tartuffe, il ne renvoie plus à un référent concret, mais à un concept ou un ensemble de qualités. Ainsi perd-il le lien avec l'événement d'origine. Il est probable que la locution Bloody Sunday est en voie de lexicalisation pour signifier une explosion de violence faisant beaucoup de victimes : c'est, au moins, cette signification que nous trouvons dans les journaux parlant d'un Bloody Sunday in Iran, Baghdad ou Kashmir .
  Ce praxonyme ne pourra, bien sûr, être appliqué qu'aux événements ayant eu lieu un dimanche. Or, dimanche, jour de Résurrection du Crist, possède une signifiance particulière pour la communauté catholique. C'est un chrononyme qui, d'abord, évoque la notion de la Résurrection, et, ensuite, font écho à l'Easter Rising, car Easter est aussi le temps de résurrection. Dans la deuxième partie de la présente thèse, nous essayerons d'analyser la possibilité des associations qui puissent apparaître entre ces deux praxonymes.
  A part la comparaison intrinsèque par le fait d'appliquer à l'événement le praxonyme qui a déjà désigné d'autres événements, nous voudrions également noter la volonté des journalistes et des auteurs d'ouvrages sur le Bloody Sunday de le comparer à d'autres événements. Cette comparaison fait rentrer le praxonyme Bloody Sunday dans une sorte de champ sémantique des ' noms de massacre '.
  
  On English soil the only parallel is the so-called 'Peterloo Massacre', when demonstrators seeking parliamentary reform were charged down by cavalry in Manchester, in August 1819. In the annals of atrocities committed by the state against its own people, Bloody Sunday takes its place alongside India's Amritsar, South Africa's Sharperville, Mexico's Tlatelolco and America's Kent State.
  
  II. LES ANTHROPONYMES: LES NOMS DES MORTS
  
  Les anthroponymes du paradigme nominal de mémoire du Bloody Sunday sont, avant tous, les noms des morts. Or, ces noms des morts apparaissent sous un double aspect. D'un côté, un livre ou un article consacré au Bloody Sunday comporte presque obligatoirement la liste des morts ou bien des morts et des blessés le 30 janvier 1972.
  Ces noms se retrouvent à l'intérieur d'une liste : soit une liste réelle (comme au début du Eywitness Bloody Sunday, ou, en l'occurrence, dans l'annexe de la présente thèse, ou encore dans les journaux); soit dans une ' liste ' virtuelle, comme des croix uniformes sur lesquels les noms de victimes sont gravés. Nous sommes enclins de considérer les mots à travers/à l'intérieur de cette nomenclature. Il convient à noter le problème de la ' comptabilité des morts ' que mentionnent, par exemple, les auteurs de la 'Chronologie ' qui expliquent que ' l'armée britannique et la police nord-irlandaise de comptabilisent pas les morts suivant les mêmes critères ' ; ajoutons que les armées communautaires ont sans doute leur propre comptabilité.
  Ici, il ne s'agit pas de noms des héros, comme nous l'avons précédemment mentionné : par contre, on souligne, chez les victimes, l'innocence, l'inoffensivité. Ici, l'énumération des morts est utilisées en tant qu'une accusation sous-jacente (on y inclut souvent les listes des blessés, mais nous rapporterons ces noms à la périphérie de la PNM).
  La liste sert à ritualiser les noms propres. Cette ritualisation peut se jouer de différentes manières : soit on utilise les listes de noms pour souligner l'hiérarchie d'une société ou d'exprimer des non-dits, soit, comme c'est le cas, par exemple, des listes des noms d'exterminés dans les camps nazis, il s'agit d'inculper d'un crime à l'aide de cette seule liste. Dans ce cas, l'ordinaire appelle à l'empathie, et les noms eux-mêmes ne sont importants que dans la mesure qu'ils ' comptabilisent ' les victimes. Strictement parlant, ces noms n'expriment aucune qualité à part l'innocence. De l'autre côté, ces listes de noms créent un certain espace nominale, une communauté virtuelle close. L'appartenance à la liste certifie l'appartenance à une communauté dans un contexte de commémoration sélective, selon Edna Longley ; ' they honor our dead, not your dead ' . Mais cette liste est aussi un instrument de généralisation qui enferme les individualités dans un même silence profond, les réunit et les égalise dans la mort. Dans une certaine mesure, le nom dans la liste ne sort pas de l'anonymat.
   Voilà pourquoi nous sommes tentés de considérer en tant que nom de mémoire générique la locution ' thirteen/fourteen men in Derry ' que l'on voit non seulement dans les rapports de l'événement, mais aussi, dans Casualties de Seamus Heaney :
  
  He was blown to bits
  Out drinking in a curfew
  Others obeyed, three nights
  After they shot dead
  The thirteen men in Derry.
  (Casualties, 1979)
  
  ou dans cette chanson populaire exprimant toute l'hostilité de la communauté catholique envers l'armée britannique :
  Those thirteen men in Derry
  Will be the last that you will bury...
  ('Go on home British Soldiers')
  
  Cet anonymat est en fait une des particularités du discours de l'époque en Irlande du Nord ; il vient du silence, ' un passage obligé dans la littérature des Troubles ' , qui entourait ces événements, quand les gens avaient peur de parler de peur de trahir les siens, de dire des choses que l'ennemi serait capable d'employer contre eux, et quand les poètes et les littéraires ne trouvaient plus de mots pour décrire l'atrocité du conflit. Ces listes sont une ' approche minimale ', 'the minimal approach [which] communicates a powerful sense of the violence of those years ' . Selon certains spécialistes du discours histiorique irlandais, ce silence a des racines plus profondes: 'An inheritance of intentional silence and anonymity long pursued in Ireland stamps its elusive character onto the national narrative [...] a deep fear underlies that silence' . Cette 'culture de silence' se manifeste pleinement dans les principaux poèmes consacrés au Bloody Sunday: aucun nom n'apparaît dans ' The Butcher's Dozen ' de Thomas Kinsella, bien que les allusions aux victimes concrètes sont plus que transparentes ; dans ' Casualties ', Seamus Heaney résume la liste des victimes dans un morbide ' Paras thirteen - Bogside nil ' écrit sur un mur ; il ne mentionne non plus le nom du personnage principal de ce poème. Ici, se reflète la particularité du conflit dans un espace limité, sur un petit territoire, où chacun connaît ses voisins, y compris les ' voisins avec des fusils ' (neighbours with guns, le nom donné aux B Specials par Seamus Heaney).
  De l'autre côté, chaque nom devient accusateur de sa propre injustice : on a tiré dans le dos de Jack Duddy, on a tué Bernard McGuigan quand il essayait venir à l'aide de son ami, on a accusé Gerard Donaghy de posséder des bombes à clous qu'aucun des témoins n'avaient aperçu, etc. Derrière chacun de ces noms, une histoire et un chef d'accusation que les habitants de Derry connaissent probablement par cœur et dont chacun sert ou a servi à appuyer le discours de haine envers l'armée britannique. C'est dans le contexte de leurs histoires, repris maintenant dans des livres et des filmes où sont célébrés les martyres du Bloody Sunday ; et c'est en tant que martyres qu'ils reprennent leurs noms.
   On retrouve donc, au centre de ce paradigme d'anthroponymes, les noms des treize/quatorze morts, mais aussi, quelques noms des blessés, tels que Peggy Deery, la seule femme blessée ce jour-là ;
   Nous notons également les noms de participants/témoins les plus connus, comme le Père Edward Daly ou Bernadette Devlin.
   De ' l'autre côté de la barricade ', nous enregistrons les noms des autorités Nord-Irlandaises et Britanniques, tels que le Colonel Wilford et le Brigadier McLellan ; mais aussi, Lord Widgery et Lord Saville. De ces noms, c'est celui de Lord Widgery, devenant le symbole du mensonge des autorités ; là où il n'est pas ouvertement traité de menteur (' Widgery, for his attempt to establish a historical record that absolved the soldiers, so contradicted the popular view of what had happened that day that the contention never subsided'), son nom se retrouve dans des contextes d'opposition régulière à la ' vérité ' du Bloody Sunday. Ainsi, par exemple, Don Mullan, en publiant les propos de témoins oculaires, cite en référence des extraits du rapport de Widgery certifiant le contraire.
   Il semble que, tout comme dans le cas de l'Easter Rising, nous devons inclure dans ce paradigme les noms de certains représentants du monde culturel et littéraire, qui ont offert leur version de la vérité et ont ainsi participé dans la reconstruction ou la reproduction virtuelle de l'événement Bloody Sunday. On nommera Don Mullan, auteur de Eywitness Bloody Sunday, Thomas Kinsella et Seamus Heaney qui ont produit chacun un poème ' de programme ' sur l'événement, Brian Friel et Franck McGuinness, auteurs de deux pièces les plus connues sur Bloody Sunday ; enfin, Paul Greengrass et Jimmy McGovern, réalisateurs de filmes. Ce choix peut paraître douteux, et ces noms resteront sans doute à la périphérie du paradigme.
  D'autres noms de personnes et noms de groupes (comme IRA, RUC, the British Army) tiennent à étendre leur signification sur un contexte trop large pour être enregistrés dans le présent paradigme. Pour nous, ils rentrent plutôt dans le champ notionnel des Troubles.
  
  III. TOPONYMES : NOMS DE LIEU COMME SYMBOLES DE CONFRONTATION
  
  Comme pour l'Easter Rising, le paradigme toponymique sera ici essentiellement urbain. C'est-à-dire qu'il s'agira des noms de rues, de bâtiments, de parcs et de parkings...
  Près de cinq cent romans traitent de la géographie culturelle sous le prisme de l'histoire politique du conflit nord-irlandais. Il est inutile de souligner l'importance du choix des noms de lieu dans un conflit opposant deux communautés partageant le même territoire. Ce choix, l'emploi de ' ses ' noms de lieu aide à s'approprier virtuellement ledit lieu. C'est pourquoi la mémoire du lieu est très importante pour une ville comme Derry ; c'est pourquoi les auteurs de These Are Real Bullets perçoivent la modification du paysage de Derry comme une tentative d'effacer les souvenirs, et, avec eux, la vérité/la réalité de ce qui s'était passé :
  The killing ground is hard to imagine [... ] The flats on Rossville Street where five young men were gunned down around a rubble barricade have been demolished. William Street, where the first shoots wounded a man and a boy near the Nook bar, has been rebuilt with neat maisonettes where the burnt-out buildings once stood. [...] It is as if some town planner had only one purpose in mind - to destroy the landmarks and wipe out the memories .
  La géographie, surtout la géographie urbaine, possède une signifiance particulière pour les Irlandais du Nord : littéralement, d'abord (les Troubles sont nés à Derry et Belfast, villes majeures où la population catholique était assez grande pour rivaliser avec la majorité protestante ; la guérilla menée par les groupements militaires, catholiques et protestants, étaient essentiellement urbaine), mais aussi, virtuellement : la géographie et la nomenclature des villes évoquent le conflit plus ancien et imposent à chaque parti du conflit son propre système de cadres culturels. Les écrivains irlandais s'en rendent bien compte :
  ' Writing about settlement and the built environment in Northern Ireland could often become a mode of allegory through which issues of violence, history and social cohesion were countenanced'
  
  Nous subdivisons les toponymes en 3 groupes :
   ceux qui sont en rapport avec la marche elle-même : Bishop's field, Guildhall, Wellworth's...
   ceux qui ont constitué la scène du massacre : Rossville Flats, William Street, Glenfada Park, Derry Walls, etc.
   dans le troisième groupe, nous avons décidé de classer le nom (ou, plus précisément, les noms) du pays et de la ville.
  Cette dernière catégorie est fortement controversée. Il n'existe pas de noms unique pour la ville de Derry (Doire en irlandais), ni pour l'Irlande du Nord. L'appartenance à la communauté est nettement démontrée par le code utilisé qui remplit la fonction initiatrice en même temps qu'il restreint la vision du monde et du conflit chez celui qui l'emploi : non seulement on choisit entre ' terrorist ' et ' freedom fighter' pour désigner un membre de l'IRA ; le nom du pays lui-même est fait otage de l'opposition discursive. Il devient difficile pour les spécialistes de trouver une appellation neutre, ils se sentent obligés de justifier leur choix :
  For instance, I should describe the region as Northern Ireland', which is its legal title. I shall eschew 'the six counties', preferred by some nationalists, and 'Ulster', preferred by many unionists. An objection to using 'Ulster' for 'Northern Ireland' is that the term is ambiguous, for it also refers to the historic nine county province of Ulster. [...]
  
  Un autre nom qui provoque autant de difficultés, est celui de la ville. Nommée Londonderry en 1613, après avoir obtenue la Charte Royale du roi James I, appelée en irlandais Doire ou bien Doire Cholmchille (' la chênaie de St Colum Cille ', un saint irlandais très connue), cette ville, aussi bien que son nom, est devenue une des majeures symboles de l'opposition des catholiques et des protestants en Ulster. ' Derry ' le toponyme renvoit immédiatement à un praxonyme, ' the siege of Derry ' (le siege de Derry) qui est un événement 'appartenant' aux protestants, 'the original and most powerful myth ' of the Protestants, a 'miraculous deliverance of Protestant Ireland as a providential intervention on behalf of a divinely favoured people' . Ce praxonyme (de nature ambigue, d'ailleurs car, même s'il nomme un événement constituant de l'histoire protestante, il utilise la variante du toponyme employée par les catholiques) est un élément inaliénable du discours protestant, un symbole de 'communauté sous siège'. Ainsi, quand les catholiques l'utilisent dans leur propre contexte, en écrivant à l'entrée du Bogside 'Welcome to the free Derry', non seulement ils s'emparent d'une partie du territoire, mais ils portent aussi atteinte au discours de la communauté adverse, en le déformant. Car on retrouve le concept de liberté dans plusieurs poèmes honorant le siège de Derry ; mais évidemment, il ne s'agit pas de la même liberté. Il s'agit de la substitution, ou de la déformation, du concept.
  Les noms de lieu sont ici réactualisés par la marche, et la marche en Irlande du Nord possède une signification particulière. On pourrait considérer ces défilés de NICRA sous l'angle du carnaval, en se rappelant son ' atmosphère carnavalesque ' que les balles sont venues briser ; le carnaval au sens bakthinien qui ramène les participants à l'état de la liberté première, qui se conçoit en opposition au gouvernement oppresseur. Mais leur importance est encore plus grande.
  Dans un territoire avec des barrières établies entre les deux communautés qui vivent dans une close proximité, avec trop peu d'espace mais trop de haine, comme l'écrivait Yeats, une marche ne peut être considérée que comme une tentative d'invasion. S'y ajoute sa signifiance commémorative : le 12 juillet pour les protestants, et les Pacques, pour les catholiques, sont autant de possibilités de montrer à la communauté adverse, à l'aide d'un défilé, que le souvenir des batailles d'antan est bien présent. C'est à travers de ces manifestation que la ville de Derry, notamment, garde/réacquiert sa signification symbolique, résumée par le héros de Reading in the Dark de Seamus Deane qui traduit l'inégalité entre les protestants et les catholiques par la proportion des festivités commémoratives :
  It was a city of bonfires. The Protestants had more than we had. They had the twelfth of July, when they celebrated the triumph of Protestant armies in the Battle of the Boyne in 1690; then they had the twelfth of August when they celebrated the liberation of the city from the besieging Catholic army in 1689; then they had the burning of Lundy's effigy on the eighteenth of December. ... We had only the fifteenth of August bonfires; it was a church festival but we made it into a political one as well, to answer the fires of the twelfth .
  L'hostilité avec laquelle les communautés accueillaient ces parades des ' autres ' ne doit pas étonner, car elles servaient à renforcer le sentiment communautaire et, par conséquent, à réchauffer la tension entre les deux communautés. Ainsi, les mots nommant le territoire prennent-ils une connotation particulière, en continuant la bataille virtuelle.
  Les rues et les quartiers dont les noms nous incluons dans le paradigme nominal de mémoire du Bloody Sunday, sont doublement marqués : en tant qu'objets de la conquête (ou de la reconquête) virtuelle, et en tant que témoins du massacre réel.
  Les toponymes 'Creggan ' et ' Bogside ', appropriés par les catholiques, tout comme les quartiers homonymes, font partie d'une autre histoire, histoire moderne, mais qui semble continuer la guerre du passé : la bataille du Bogside n'est-elle pas une riposte à la bataille de Boyne ? Ces noms (Free Derry, the Bogside, Creggan, etc.) deviennent pour les catholiques ce que ' Derry ' signifie pour les protestants : les symboles d'une ville assiégée, à l'intérieur de laquelle sont sauvegardées les vraies valeurs.
  Le Bloody Sunday crée une sorte de rétrospective historique, à travers de laquelle ces noms de mémoire seront reconsidérés et acquerront un nouveau poids symbolique. Voilà pourquoi nous avons décidé d'inclure ces toponymes dans notre paradigme, même s'ils dépassent largement les frontières de l'événement.
  En résumant notre présentation de ces deux événements (nous espérons qu'elle suffit à expliquer les enjeux et les faits principaux de l'Easter Rising et du Bloody Sunday) et de leurs répercussions sur le discours historique et politique irlandais, nous voudrions rappeler quelques moments essentiels de ce chapitre.
  Tout d'abord, nous sommes en mesure de conclure que le discours nationaliste sur le Rising a fourni un cadre pour la perception et la représentation de tout conflit impliquant la communauté irlandais opprimée, et ce cadre a continué à être utilisé dans l'Irlande du Nord, notamment, pendant les Troubles et après le Bloody Sunday.
  Quant aux éléments du discours eux-mêmes, nous avons entrepris, en nous basant sur les descriptions des faits dans des ouvrages historiques, à dresser, pour chaque événement, un paradigme onomastique de mémoire : un champ schématique des noms propres qui sont, dans une mesure, représentants de l'événement dans la communauté linguistique. En les comparant, nous pouvons nous apercevoir que ses paradigmes se superposent facilement au niveau d'anthroponymes dans les deux cas, il s'agit de deux inventaires d'anthroponymes : ' intérieur ' et ' extérieur ' (irlandais et britanniques) qui dans les textes représentent les relations d'antagonisme.
  Etablir ces paradigmes onomastiques nous a servi à relever les NM des deux événements qui semblent les plus pertinents, et aussi, dans certains cas, un ensemble des caractéristiques liés à ces NM, formant un cadre discursif dans lesquels ces noms devront être considérés. Nous utiliserons ce paradigme pour analyser les noms de mémoire dans la littérature irlandaise.
  
  
  
  
  
   Annexe N 1. Noms de morts et de blessé le 30 janvier 1972 à Derry :
   Liste des morts (l'âge est marqué entre parenthèses):
  
  1. Patrick ('Paddy') Doherty (31)
  
  2. Gerald Donaghy (17)
  
  3. John ('Jackie') Duddy (17)
  
  4. Hugh Gilmour (17)
  
  5. Michael Kelly (17)
  
  6. Michael McDaid (20)
  
  7. Kevin McElhinney (17)
  
  8. Bernard ('Barney') McGuigan (41)
  
  9. Gerald McKinney (35)
  
  10. William ('Willie') McKinney (26)
  
  11. William Nash (19)
  
  12. James ('Jim') Wray (22)
  
  13. John Young (17)
  
  14. John Johnston (59)
  
   John Johnson a été blessé le 30 janvier 1972; il est mort le 16 juin 1972. Sa mort aurait été causé par les blessures reçus au Bloody Sunday.
  
  Liste des blesses:
  
  1. Michael Bradley (22)
  
  2. Michael Bridge (25)
  
  3. Alana Burke (18) (heurté par une voiture blindée de l'Armée britannique)
  
  4. Patrick Campbell (53) (heurté par une voiture blindée de l'Armée britannique)
  
  5. Margaret ('Peggy') Deery (37) (la seule femme blessée par balle lors du Bloody Sunday)
  
  6. Damien Donaghy (15)
  
  7. Joseph ('Joe') Friel (20)
  
  8. Daniel Gillespie (31) (il n'a pas été mentionné dans le report de Widgery)
  
  9. Joseph Mahon (16)
  
  10. Patrick McDaid (24)
  
  11. Daniel McGowan (37)
  
  12. Alexander ('Alex') Nash (52)
  
  13. Patrick ('Paddy') O'Donnell (41)
  
  14. Michael Quinn (17)
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  
  Annexe 2. Carte du Bloody Sunday
  
  
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