Смирнова Инна Борисовна : другие произведения.

La Petite Rousse

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    "Рыженькая" на французском языке (перевод автора)

  I. LE DEBUT D"UN AMOUR
  
  C"était une forêt tout à fait ordinaire qui s"étalait aux confins d"une grande ville ennuyeuse. La forêt ordinaire, où en été les gouttes de rosée de cristal parsemaient les feuilles soyeuses de fougère, et où le vent accompagnait le chuchotement doux des branches quant en hiver le soleil brumeux allumait la neige vierge de toutes les couleurs de l"arc-en-ciel. Cette forêt ne s"endormait jamais. Le jour les clairières spacieuses étaient animées par les cerfs qui ne craignaient point les louves surveillant leurs petits aux oreilles pointues et quand la nuit tombait, les chauves-souris écartaient leurs ailes et se rassemblaient pour les sabbats mystérieux.
  Mais cette forêt n"était pas comme nos forêts habituelles, quoi qu"on en penserait au premier coup d"œil. Dans un de ses recoins cachés, sous un pin gigantesque, il y avait une petite maisonnette en bois ; elle était très ancienne, bâtie à l"époque où à la place de la ville il y avait de sinistres marécages entourés par les feuilles aigues de laîche. Cette maisonnette était presque introuvable ; mais, si par chance un passant la découvrait, il verrait un abri commode, dont le bois n"était point noirci par les années. A l"intérieur, tout semblait respirer et dégager la chaleur : la cheminée, où se faisait entendre le crépitement joyeux des branches sèches, les anciennes serviettes en dentelles, le parfum savoureux du pain frais...
  Cette maisonnette était habitée par une très vieille dame. Elle portait des robes en lambeaux, ses cheveux étaient toujours décoiffés, et son tablier était fait de branches épaisses de sapin attachées par les fils de toile d"araignée. Malgré ses apparences intimidantes, on ne dirait jamais que cette dame était méchante. C"était une vieille Fée - tellement vieille qu"elle n"avait même pas de nom. Elle était Gardienne de la Forêt, et c"est ainsi qu"on l"appelait. Elle avait beaucoup de soucis. D"abord, la Gardienne surveillait l"ordre et soignait les animaux. Mais elle avait aussi une tâche qui était encore plus importante. Chaque matin elle mettait dans la cheminée un grand chaudron où elle préparait la potion magique. Lorsque, au-dessus du chaudron, elle voyait apparaître la vapeur épaisse qui était teintée de clair de lune et dégageait les parfums délicats des roses sauvages et noisettes, la Gardienne la rassemblait dans des petits fûts de chêne, après quoi elle les portait à la cave.
  Maintenant vous allez poser la question. Pourquoi avait-elle besoin de cette vapeur magique ? Et voici. Jamais, aucun chasseur n"était parti de cette forêt, chargé de proie. Bien sûr, ils venaient nombreux. Ils tendaient leurs pièges, ils mettaient par terre leurs toiles. Mais rien ne pouvait échapper au regard sévère de la Gardienne. Il suffisait que la Fée jette un bref coup d"œil dessus, pour que tous les pièges, toutes les toiles deviennent des piles grises de cendres. Quant aux chasseurs, la Gardienne versait sur eux la vapeur enchantée qu"elle recueillait soigneusement dans les fûts. Les chasseurs oubliaient aussitôt le chemin qui mène à la forêt - parce que la vapeur n"était rien d"autre que le Brouillard d"Oubli...
  La Gardienne de la Forêt n"était pas seule dans sa petite maisonnette. Elle avait une petite-fille. C"était une créature d"une beauté inouïe portant fièrement une couronne de cheveux roux. Ses yeux bruns verts dégageaient la lueur chaleureuse et infiniment douce. La vieille Fée l"aimait à la folie ; la fille était aussi très attachée à sa grand-mère et venait toujours à son aide. Ensemble, elles passaient des soirées calmes et paisibles devant la cheminée en contemplant les branches, qui fondaient dans le feu, et savourant les petits pains aux raisins, que la Fée mettait soigneusement sur les plateaux argentés. La vieille dame racontait les histoires drôles de la vie de la forêt. La fille éclatait de son rire léger et transparent.
  A la place du nom, la fille avait un surnom : Petite Rousse. C"est ainsi qu"elle était appelée par tous les habitants de la forêt. En été, elle aimait errer parmi les arbustes épais de framboise et feuilles claires de fougère, en effleurant légèrement l"herbe soyeuse. " Bonjour Madame la Corneille ! " - s"écriait-elle en voyant la belle aux plumes noires dans les branches d"un peuplier. " Bonjour Petite Rousse ! Bonjour princesse ! " - répondait la Corneille et s"inclinait légèrement en serrant l"aile noire contre sa poitrine. " Bonjour Madame la Grue " - disait-elle courtoisement à la grande Grue blanche se promenant au bord d"un étang entouré de lys. " Bonjour petite reine ! " - saluait-elle.
  Oui, Petite Rousse était une fille adorable. Néanmoins, elle était tellement différente tant de sa grand-mère que des autres habitants de la forêt que, beaucoup d"entre eux, en pensant qu"elle possède des pouvoirs magiques secrets, la nommaient princesse et reine. La Corneille, la Grue, les louves sérieuses et posées, les écureuils affairées l"accueillaient avec beaucoup de courtoisie. Elle était une fille pas comme les autres. Souvent, elle mettait ses pieds nus dans l"herbe mouillée, portait des robes de soie et éclatait de rire. Mais il y avait des instants où son beau visage devenait pointu, les oreilles s"étiraient, les jeunes membres devenaient courts et souples, et derrière son dos, une grande queue rousse resplendissait tel un éventail... Cette queue était si douce que, si quelqu"un l"avait touchée, elle fondrait dans l"instant et filerait entre ses doigts comme les grains de sable mesurant le temps... Mais personne ne l"a jamais touché. Aucun être humain ne l"a jamais vu en renard... Aucun être humain ne pouvait la voir ainsi. Et sa grand-mère ne cessait de le lui répéter...
  Ainsi vivait-elle, tantôt fille, tantôt renarde, dans la petite maisonnette en bois, dans la forêt qui s"étalait aux confins de la grande ville ennuyeuse...
  
  Un soir, lorsque les premiers flocons de neige ont couvert l"herbe fanée et commencé à luire dans les branches du vieux pin, tel un diadème d"argent, la Gardienne et Petite Rousse écoutaient le crépitement mélodieux du bois dans la cheminée. Les ombres sautaient sur leurs doux sourires.
  Soudain une autre ombre - celle de la tristesse - s"est couchée sur le visage de Petite Rousse.
  - Que se passe-t-il, ma chérie? Pourquoi es-tu si triste? - la Gardienne fixait sa petite-fille avec inquiétude.
  - Je ne sais pas, chère grand-maman, je ne sais pas. Il y a quelque chose qui se serre en moi. Il me semble que j"attends quelque chose mais je ne sais pas quoi. C"est la première fois... J"ai peur. Dis-moi... Il y a tant de potions magiques que tu prépares dans tes chaudrons. Peux-tu en trouver une qui puisse m"aider ?
  - Petite Rousse, - souriait la Fée. - Je crains qu"aucune d"entre elles ne te soulagera. Mais ce n"est pas dangereux, ma chérie. Vas-y, couche-toi, les étoiles se sont allumées, et les ombres de lune errent sur la terre. Et les chauves-souris agitent leurs ailes. Oh, les êtres sans repos ! Même en hiver ils ne sont pas las de leurs sabbats ! - la Fée grognait gentiment en caressant les cheveux flamboyants de la fille.
  - Mais dis-moi, grand-maman, qu"est-ce que cela peut être ? - a demandé Petite Rousse avec un sourire pensif.
  - Le jour viendra - et tu sauras... - les yeux de la vieille Gardienne se couvraient de brume. Au bout de quelques instants elle dormait profondément.
  Les pensées tristes ne voulaient pas quitter l"esprit de Petite Rousse lorsqu"elle était allongée dans son lit douillet, la queue dorée luisant dans le clair de lune.
  
  Le matin rosâtre est entré à tâtons dans la petite maisonnette en bois. Petite Rousse a ouvert les yeux ; le soleil matinal a ravivé son inquiétude. La Gardienne était près de la fenêtre ; sa main tendue était parsemée de miettes de pain qu"elle jetait aux oiseaux d"hiver aux plumes multicolores.
  Petite Rousse a approché la table répandant les parfums de thé et confiture de mûres sauvages.
  - Bonjour grand-maman! - Petite Rousse souriait mais ses yeux semblaient encore dormir.
  - Bonjour ma chère! Qu"est-ce qu"il est beau, ce matin !
  - Je voudrais me promener un peu dans la ville, je peux ? S"il te plaît !
  - Bien sûr, ma chérie... Va voir comment vivent les gens. Ca fait un certain temps que tu n"avais pas quitté la forêt. Mais sois prudente ! Les humains... Ils ne doivent pas te voir dans l"image de renard. Mais tu comprends tout... Ne reviens pas trop tard. Je vais m"inquiéter, - avec un soupir profond, la Fée mit ses deux mains sur les épaules de Petite Rousse.
  
  Petite Rousse est sortie, sa fourrure toute de suite illuminée par des étincelles noires et dorées, tout comme ses yeux brun vert un peu rêveurs... Soudain, tout au bout de la forêt, elle aperçut la Grue. Elle regardait le ciel l"air soucieux.
  - Bonjour Madame la Grue! - Petite Rousse l"a salué courtoisement, comme d"habitude.
  - Bonjour ma chère! Il fait soudain froid. Il est temps de partir... Partir pour les contrées chaudes.
  - Soyez prudente ! A la prochaine fois, - le visage de Petite Rousse s"éclaira de son plus beau sourire.
  - A bientôt ! -la Grue inclina la tête.
  Elle se précipita vers la ville. Au bout de quelques secondes, la Grue l"a perdis de vue.
  " C"est la reine. La vraie, comme il y en a eu avant ", - pensait-elle en la regardant s"éloigner.
  
  Elle marcha longtemps dans la grisaille de la ville en regardant les fronts soucieux des gens, en écoutant le gazouillement gai des enfants rentrant de l"école. Que c"était loin d"elle !
  Soudain, sur un pont marbré, elle aperçut un garçon, presque un jeune homme. Son long manteau bleu. Ses gants noirs. Ses cheveux longs noués dans une queue de cheval. Il avait l"air seul. Etait-il un écolier faisant école buissonnière ? Ou peut-être un orphelin ? Elle ne savait pas.
  Petite Rousse s"est approchée de lui.
  - Tu t"es égaré? - lui a-t-elle demandé. Comme ça, sans raison.
  - Non... Pourquoi? - le garçon la fixait d"un regard couleur de ciel ensoleillé.
  - Je ne sais pas... Tu avais l"air... Comment t"appelles-tu?
  - Martin. Peut-être, d"après le personnage de conte de fées.
  - Quel conte de fées ?
  - "Le voyage de Nils avec les oies sauvages" - Martin a répondu en riant.
  - Je ne connais pas celui-ci, - le regard de Petite Rousse est soudain devenu timide.
  - Et toi, comment t"appelles-tu ?
  - Petite Rousse. Tous mes amis m"appellent comme ça.
  - Bien. Petite Rousse. Belle Petite Rousse. Promenons-nous !
  Ils glissaient le long du fleuve gelé. Des causeries insouciantes. Des rires. Martin racontait les histoires drôles qui ne ressemblaient point à celles de la grand-mère. Près d"une petite colline, quelqu"un avait abandonné un traîneau aux patins brillants. Petite Rousse s"est assise dedans. Martin a entraîné sa nouvelle amie tout au long de rues inconnues dans la lumière des réverbères pâles. Au loin, au loin... Elle souriait. Rien n"était comme avant. Rien ne sera plus comme avant.
  
  
  
  Ce soir-là, Petite Rousse était rentrée tard. Il était presque minuit. La Gardienne n"a fait que pousser un soupir et secouer la tête.
  
  Depuis, ils se voyaient tous les jours. Le même endroit, la même heure. Des causeries insouciantes. Des rires aux éclats. Le petit café, dont le propriétaire leur offrait du thé aux biscuits. Le givre sur les fenêtres.
  Petite Rousse était toujours polie et gentille avec les habitants de la forêt tout en se montrant devant eux tantôt comme une fille ravissante, tantôt comme une petite renarde sauvage et flamboyante. Pourtant, quelque chose a changé.
  Quant à la vieille Fée, son chagrin devenait de plus en plus profond. Son regard perçant est devenu distrait et parfois, elle s"endormait en plein jour, le bonnet mi-tricoté sur les genoux.
  
  Un jour Martin dit à Petite Rousse:
  - Dis, ma belle... Tu ne parles jamais de toi. Je ne sais rien de ta vie. Qui es-tu ? D"où viens-tu ?
  Petite Rousse regardait en bas, en silence. Comment lui dire ? Faut-il lui dire ? Un jour, il saura tout. Lui, c"est un humain. Et si tout se passe devant ses yeux ? Son doux visage de fille se couvrira de poils roux blancs, la flamme rouge de sa queue splendide s"allumera derrière son dos, et tout sera fini. A jamais. " Souviens-toi !... " - les mots de la Gardienne résonnaient dans sa tête. Petite Rousse poussa un sanglot :
  - Va-t-en, Martin. Moi aussi... C"est l"heure...
  Elle s"est mise à courir. Ses petites traces se reflétaient dans les réverbères nocturnes.
  Martin est resté tout seul. Les pourquoi inondaient ses yeux bleus.
  
  Petite Rousse ne venait plus sur le pont. Elle passait des journées entières, enfermée dans la maisonnette en bois. Sa tristesse n"était dérangée que par le remue-ménage de la famille des souris et le gazouillement des oiseaux. Les journées d"hiver, des journées sans joie...
  
  Une semaine s"est écoulée après la dernière rencontre de Petite Rousse et Martin. L"hiver a apporté les amoncellements de neige et suspendu les glaçons rayonnants sur la maisonnette et les arbres. Les fêtes s"approchaient.
  
  Ce soir-là, la jeune renarde poursuivait sa marche solitaire dans la forêt enneigée. Le silence semblait la porter soigneusement dans ses bras de glace. Les chauves-souris étaient toutes cachées, et la forêt semblait être devenue orpheline sans bruissement de leurs ailes. Les larmes traçaient leur chemin dans les creux blancs du museau doré.
  
  Et soudain... Le grincement fort, puis le craquement. Le chapeau de neige tombant d"une branche avec un bruit sourd. Quelles odeurs hostiles et angoissantes ! Quels bruits inconnus et terrifiants ! Quelle douleur déchirant et perçant tout d"un coup la patte droite ! La renarde s"allongea sur la neige, puis, le mouvement brusque vers le haut, elle essaya de se sauver. En vain ! La patte lourde en fer la tenait fermement, les dents aigues pénétrant encore plus profondément sa peau douce... La neige devenait écarlate dans la lumière de la demi-lune pâle et cornue.
  
  Ce même soir Martin était avec ses parents dans le salon éclairé de la maison aux confins de la ville. La cheminée respirait d"une fumée épaisse. La mère de Martin tâchait de faire parler son fils mi-noyé dans les plis d"un grand fauteuil, regardant pensivement à l"intérieur de sa tasse de thé, comme si celle-ci lui montrait un spectacle plus intéressant que celui qui se déroulait autour de lui.
  - Qu"est-ce qui se passe? Cela fait une semaine que tu n"es pas dans ton assiette. Est-tu malade ? Mais qu"est-ce qui te ronge ?
  - Arrête, maman. Pas de raison de t"inquiéter, - le visage de Martin s"assombrit davantage.
  - Laisse-le tranquille. S"il fait encore sa mine grise, il aura affaire à moi, - le père prononça des mots menaçants mais son visage était fermement noué par l"indifférence.
  Et soudain... Martin s"aperçut que la manche droite de sa chemise devenait humide. Il posa la tasse sur la table, souleva sa manche et... comprit que l"humidité provenait d"une blessure profonde. Comment est-t-elle apparue ? Il n"en savait rien. Les ruisseaux épais de rouge coulaient au long de son bras, les gouttes minuscules se noyant dans le velours du fauteuil.
  
  - Mon Dieu, Martin! - s"est écrié la mère. - Qu"est-ce que c"est que cela?! Je t"ai déjà dit mille fois et je te le redis - sois prudent avec le couteau!
  Pourtant, il n"y avait aucun couteau près du garçon.
  - Attends une seconde, on va laver tout ça, après on mettra un pansement. Ne t"inquiète pas ! - la mère a mis sa main sur la tête de son fils.
  Mais Martin s"est subitement levé de son fauteuil.
  - Petite Rousse... - a-t-il dit tout bas.
  Il était là, debout, abasourdi au milieu du salon. Les paroles et les bruits inattendus et étranges lui venaient dans la tête, le cœur battait de plus en plus fort, et le regard vague errait distraitement quelque part au-delà du salon. Au-delà de la maison parentale.
  - Petite Rousse... Un danger... Silence...- chuchotait-il, les yeux fixant le mur.
   Tout d"un coup, il a tout compris. Un éclair. Le chapeau de neige tombant d"une branche avec un bruit sourd.
  Il savait maintenant. Il savait où la chercher.
  
  Pendant ce temps-là, dans la forêt, sous le piège en fer tendu près d"un grand sapin, la neige devenait rosâtre. La renarde a disparu. La petite main d"une fille, que du rouge et du bleuâtre, était fermement coincée entre les dents du piège. La fille pleurait.
  - Quelqu"un... Je vous en prie... Venez, - chuchotaient ses lèvres affaiblies. L"or de sa fourrure était inondé par le rouge du sang et le brun de la terre gelée que creusait la renarde.
  Silence. Même le vent s"était tu.
  
  ... - Petite Rousse?! De quoi tu parles ? - s"inquiétait la mère.
  Elle n"a pas eu de réponse. Martin a jeté le manteau sur ses épaules. Il a sauté par la porte. Quelques instants plus tard il fuyait le long de la rue gelée. Lorsqu"il atteint le carrefour quelque chose se produisit. Quelque chose d"étrange. Ses jambes sont soudain devenues très légères et souples, puis il a senti quelque chose de mou et soyeux sur son visage. Après, ses oreilles se sont étirées. Finalement, il est tombé sur deux pattes musclées, ses deux bras d"humain, quelques secondes plus tôt. Etonnement. Et, pourtant, sans peur : il continuait à courir. Tout se que pouvaient remarquer les gens au volant de quelques voitures retardées, était un jeune homme traversant la route, brusquement disparu. S"ils l"avaient suivi du regard, ils auraient pu voir un jeune renard roux cuivré se précipitant vers la forêt.
  Déjà dans la forêt sombre et épaisse, Martin s"est aperçu qu"il avait regagné son ancienne image. Il courait de nouveau sur ses deux jambes, le voile bleu du manteau derrière son dos. Le voila arrivé. Sans même regarder Petite Rousse, il tendit ses bras, serra les dents, écarta les griffes du piège. Libérée ! Après quoi, il s"assit à ses côtés dans le ruisseau rougeâtre, qui commençait à tracer des sentiers dans la neige intacte. Il prit soigneusement entre ses mains chaudes la poignée dévorée de son amie.
  Soudain, la vieille Gardienne surgit des profondeurs de la forêt. Sa voix rauque brisa le silence.
  - Ma chère, ma petite ! Tout est de ma faute ! Je ne l"ai pas vu, celui-ci... Vieille, maladroite et absente que je suis !..
  Tout d"un coup, des pas se sont fait entendre. Les pas d"un intrus. La Fée et Martin ont prêté l"oreille. Petite Rousse était inconsciente dans les bras de Martin.
  - Aha! - s"est écrié la vieille Fée d"une voix terrifiante. - Le voilà, le vilain ! Es-tu venu chercher ta proie ?!
  Le visage barbu d"un chasseur s"est montré derrière un arbre.
  - Sim ! Tor ! Venez ici ! - la Gardienne appelait quelqu"un de sa voix forte et rauque.
  Soudain le ciel nocturne est devenu encore plus épais. Une seconde plus tard, tous ont entendu des bruits d"ailes gigantesques et le grincement de becs, tel un tonnerre.
  Quatre yeux rouges fixaient la Fée.
  - Ce sont les gardes de la forêt. Les vieux corbeaux... - a-t-elle expliqué à Martin.
  Les oiseaux immenses attendaient des ordres. Sans dire un mot, la Fée leur montra le chasseur pétrifié. Les corbeaux prirent leur envol, le chasseur suspendu dans leurs griffes.
  
  - Loin d"ici ! - criait la Gardienne.
  Ensuite, elle a sorti des plis de son manteau un petit fût de chêne. Elle l"a débouché et laissé répandre, parmi les arbres enneigées, le parfum fin de roses sauvages mêlé à celui de noisettes. Le nuage du Brouillard d"Oubli planait longtemps derrière les corbeaux, jusqu"à ce qu"on les perde de vue.
  
  ... Lorsque la Fée et Martin, Petite Rousse dans les bras, ont poussé la porte de la maisonnette en bois, quelque part à l"est, l"aube se levait déjà. Petite Rousse était soignée d"une potion magique fortement parfumée et couchée dans son lit. La Gardienne fixait Martin, ses yeux bleus et cheveux longs décoiffés par le vent.
  - Voilà, tu sais tout maintenant, - a-t-elle dit d"un ton sérieux. - Je voudrais savoir, si tu serais capable... Pour elle...
  - Oui! - la réponse de Martin était ferme. - Je suis capable. Je peux.
  - Bien ! - la Fée souriait. Elle s"est dirigée vers le coin de la chambre pour rallumer une bougie éteinte.
  - Mais... Dites-moi, - Martin avait l"air pensif, - pourquoi, lorsque j"ai approché le carrefour... - et il raconta sa transformation.
  - Devine... ! Il s"agit bien d"un grand pouvoir...
  - Il me semble que je sais.
  L"instant même, il approcha Petite Rousse, qui dormait profondément. Il a effleuré légèrement sa joue pâle.
  - Je sais maintenant : je t"aime. Et je sais aussi que je resterai à jamais un homme renard, - a-t-il chuchoté à son oreille. La neige fondue coulait sur son visage, les gouttes argentées tombant sur les lèvres de la fille, sa bien-aimée.
  Le soleil était déjà haut dans le ciel. Tout d"un coup, son disque doré se cacha derrière le nuage blanc d"une aile. La Grue volait gracieusement là où un autre soleil l"attendait - celui des pays lointains.
  
  II. LA FIN DE L"ENCHANTEMENT
  Plusieurs années se sont écoulées.
  Cela faisait déjà un an que la guerre dévastait le pays en détruisant tout ce qui était vivant. La ville s"était presque vidée, les gens quittaient leurs demeures. Les ténèbres sont descendus, à travers lesquelles rien ne se faisait entendre, sauf le grondement des canons. Dans la forêt, les arbres poussaient des cris silencieux.
  Ce temps dur a avalé le printemps, la saison préférée de Petite Rousse.
  La santé de la Gardienne de la Forêt s"altérait de plus en plus, et, pendant des journées entières, elle restait dans son lit, ses cheveux gris décoiffés étalés sur l"oreiller. Elle ne pouvait plus faire ses tours dans la forêt à la recherche des pièges et des toiles. Et puis, ce n"était plus la peine : tous les chasseurs étaient partis au front.
  - Eh ! - grognait la vieille Fée. - Ils n"ont plus besoin de nous. Ils s"entretuent maintenant. J"entends, j"entends... Même d"ici. Qu"est-ce que ça siffle ! Cela devient dangereux...
  Petite Rousse attendait Martin. Elle savait qu"il était perdu quelque part dans les montagnes, d"où on ne recevait pas de lettres. Plongée dans l"inconnu, elle attendait, jour après jour ; et la nuit, elle voyait les rêves pleins d"angoisse.
  Martin n"apparaissait pas.
  ... Loin, très loin de la ville et la Forêt, dans la vallée parmi les forteresses imprenables des montagnes la bataille touchait à sa fin. Tous les camarades de Martin étaient tués. Les soldats gisaient côte à côte dans le silence profond dérangé de temps en temps par des voix rauques et saccadées qui appartenaient aux étrangers. Ces étrangers étaient un commandant et un jeune officier observant le champ en quête des survivants. Martin était blessé. Il demeurait immobile parmi les soldats morts et regardait, les yeux couverts de brouillard, une gigantesque nuée d"orage qui faisait penser aux ailes des gardes de la forêt : Sim et Tor. Ils étaient restés dans les jours heureux. Et maintenant... Il n"y avait que le chagrin et les vies des uns prises inutilement par les autres. Martin agita son bras engourdi. Quelques instants plus tard, il entendit la voix du commandant. Celui-ci parlait d"une voix tellement forte que Martin le crut à ses côtés. Le commandant s"adressait au jeune officier :
  - Regarde celui-là, - il montra du doigt Martin qui donnait des signes de vie. - Il ne peut pas être prisonnier. Achève-le !
  - A vos ordres !
  Mais lorsque l"officier a approché l"endroit où Martin était allongé entouré par ses camarades, il n"a pas vu celui qu"il devait tuer, comme si le jeune homme s"était soudainement évaporé ou avait disparu dans les profondeurs de la terre. Il n"a pas vu, non plus, qu"à la place du jeune soldat (tel un dormeur du val) un jeune renard blessé gisait immobile, sa queue cuivrée couvrant son nez.
  Quelques instants plus tard, l"orage éclatât. Les deux militaires étrangers partirent en courant. A travers les éclairs et les coups de tonnerre, Martin entendit le bruit d"une gigantesque pierre dévalant la montagne. La pluie diluvienne dissipait l"odeur lourde de la poudre à canons, et l"odorat délicat de Martin-le-renard saisissait les parfums doux des premières feuilles printanières et des fleurs de montagne qui éclosaient. Il était au bout de ses forces, lorsque, dans le ciel agité par le ronronnement du tonnerre, il l"a vit. Sa bien-aimée. Elle fut apparue dans le ciel ; enchanté, il regardait ses habits bleus luisants et les flammes de ses cheveux. Elle dansait parmi cette folie printanière, elle tendait ses bras vers lui.
  Martin ferma les yeux.
  Le matin pur et frais de printemps pénétra dans la vallée de montagnes. Les sommets bleus se réveillaient, et les jeunes edelweiss secouaient leurs têtes regardant avec la tristesse silencieuse les horreurs de la guerre qui les avaient épargnés. Martin s"est réveillé inspirant avec soulagement des parfums doux errant parmi les montagnes dans l"air pur de printemps. Son visage s"assombrit lorsqu"il la revit, autour de lui, tous ceux qui ne pouvaient plus inspirer le printemps. Il pensait : " Il faut y aller : le chemin sera long. Elle m"attend là-bas, par-delà les vallées et les montagnes ".
  Le renard s"est secoué et s"est mis à descendre en boitant du talus raide de la montagne.
  Une semaine plus tard les vautours, qui ont plané au-dessus de la vallée cette nuit-là, ont apporté la nouvelle terrible dont l"écho se faisait longtemps entendre dans toute la forêt. Martin a été tué. Martin ne reviendra plus.
  Les mois passaient. Le printemps avait cédé la place au juin vert clair, la guerre à la paix. Telle était la loi à laquelle le monde obéissait depuis des siècles. Petite Rousse, inconsolable, marchait pendant des heures dans la ville, ne voyant rien autour d"elle, ne voyant pas le visage triste de la ville avec ses maisons criblées par les balles et les piles fumantes de cailloux gris répandues par ci, par là. Petite Rousse venait souvent sur le pont et se laissait envahir par les souvenirs. Garçon aux yeux bleus. Ses cheveux longs. Ses gants noirs. Garçon-renard. Elle croyait entendre ses pas derrière elle.
  Mais il n"est jamais venu.
  Bientôt elle eut de nouveaux amis. Ensemble, ils se promenaient le long des pavés de la ville en écoutant les sons des violons et trompettes des musiciens de la rue ; les sons magiques faisant ressusciter la ville et ses habitants après le désastre qui les avait frappés. Elle a eu des amies qui étaient des jolies filles vêtues de noir, pleurant, comme elle, leurs bien-aimés qui n"étaient pas revenus de la guerre. Ils étaient tous des êtres humains, et Petite Rousse devait être prudente, tout en se souvenant de précautions de sa grand-mère : " C"est un enchantement puissant. Les humains ne doivent pas te voir dans l"image de renarde ; ceci est une règle qu"on ne doit pas violer. Et si par malheur quelqu"un voit ta transformation, tu périras de la main de ce malheureux qui sera à tes côtés ! "
  Ainsi vivait-elle, en pensant et en versant des larmes. Elle écoutait les violons et trompettes, et cette musique humble l"illuminait de temps en temps d"une petite étincelle de joie.
  Un jour tout à fait ordinaire Petite Rousse reçut une lettre revêtue d"une enveloppe blanche aux monogrammes dorés. La lettre l"invitait chaleureusement à la fête de fin de la guerre offerte par le fils d"un vieux comte mort dans une bataille navale qu"il commandait. L"enveloppe était envoyée par Anna, l"amie silencieuse et timide de Petite Rousse dont le frère était parti au front avec le jeune comte, les deux étant revenus vivants...
  - Elle a bien fait, Anna! - la Fée était heureuse lorsqu"elle a vu l"invitation. - Moi, à ta place, j"irais. Il ne faut surtout pas verser des larmes pendant l"éternité ! C"est le destin qui avait décidé. Il y a encore tant de jeunes hommes dévorés par la guerre, tel un animal sauvage ! Vaut mieux que tu y ailles. Souviens-toi des fêtes, des rires. Mais aussi, souviens-toi de... Bon, tu sais de quoi je parle.
  Petite Rousse ne pouvait même pas penser qu"il y aurait quelque chose dans le domaine du jeune comte la ferait sourire. Pourtant, elle a décidé d"y aller.
  Les rires et les bruits soyeux des robes se faisaient entendre dans la salle luxueuse du domaine caché aux confins de la ville. Les bougies étaient allumées, et le grand piano blanc faisait des gammes plus joyeuses que ne l"étaient celles des musiciens de la rue. Le jeune comte accueillait solennellement ses invités. Pourtant, son regard se détournait constamment vers une inconnue portant une robe bleu ciel, légère comme une plume. Elle avait l'air d'une étrangère qui ne semblait pas prêter la moindre attention à ce qui l"entourait.
  - Je suis fasciné ! - a-t-il murmuré en l"approchant.
  Elle a souri en soulevant légèrement les bouts de ses lèvres.
  - Permettez-moi de vous inviter ! - continuait le comte.
  Elle s"est levée à contrecoeur et posa sa main sur l"épaule du jeune homme. Ils se sont mis à tourner dans le tourbillon d"une valse triste.
  - Mon Dieu ! Qu"est-ce que c"est ?! On vous a fait du mal ? - s"est écrié le jeune comte en voyant la longue cicatrice courbe sur le bras droit de la belle inconnue.
  - Non... C"est rien... Rien de grave, - la Petite Rousse souriait d"un air coupable.
  Après, il y eut des souvenirs... Ils tournaient sans cesse dans sa tête. La nuit silencieuse éclairée par la lune, la neige qui fondait, faisant couler des ruisseaux rougeâtres. Et puis soudain - le bruit des pas. Ses pas à lui. Ses mains qui la libéraient des griffes du piège.
  
  Ainsi tournaient-ils dans la valse infinie, jusqu"à ce que les invités se soient dispersés. Le crépuscule de juin entrait lentement par les fenêtres.
  Ils se sont arrêtés au milieu de la salle.
  Le comte a effleuré légèrement ses lèvres.
  "Pourquoi?!" - pensait Petite Rousse. Pourtant, elle n"a pas résisté. Le chagrin l"a poussé dans les bras du jeune comte. Maintenant, il était trop tard.
  Ils se sont embrassés.
  Soudain le comte s"est retiré, pris de peur. La belle inconnue est tombée sur ses bras qui sont tout de suite devenus des pattes de renard. Son visage doux s"est mis à se couvrir de poils roux et blancs. Ses traits adorables se défiguraient en grimaces terribles, jusqu"à ce que son visage soit devenu un museau de renard au nez pointu. Le flambeau de la queue a éclaté derrière son dos. Au bout de quelques secondes, le comte a vu devant lui une jeune renarde montrant ses dents blanches et aigues.
  Les yeux du comte se sont subitement enflammés. Il s"est précipité vers la renarde et a enfoncé ses doigts tremblants dans sa gorge.
  La pauvre Petite Rousse était à bout de forces, lorsque le tintement du verre brisé se fit entendre.
  Quelqu"un était entré en sautant par la fenêtre. Le comte raffolé a vu que c"était un jeune renard aux yeux rouges. Il était là, fixant le comte et sifflant à travers les dents
  Le renard s"est soudainement mis à tourner vite autour de lui, puis il est monté sur ses pattes de derrière. Une seconde plus tard, à la place du renard, le jeune soldat a apparu, l"uniforme déchiré et le regard bleu ciel brillant à travers les longs cheveux décoiffés.
  Il tira de sa poche un petit sachet faisant penser à une blague à tabac. Il l"a ouvert, et cette même seconde ; le parfum délicieux des roses et noisettes s"est mis à planer dans la salle. Aussitôt que le jeune comte s"est retrouvé dans le nuage du Brouillard d"Oubli ; il relâcha ses mains, après quoi il perdit conscience.
  
  Petite Rousse et Martin étaient là, les yeux dans les yeux, incapables de détourner le regard.
  C"est Petite Rousse qui mit fin au silence.
  - Cela ne devait pas se passer... Mais le désespoir était si profond. Oh, je croyais que tu avais été tué !
  - Oui... Les manigances des vautours. J"ai survécu dans cette bataille terrifiante, - la voix de Martin tremblait de tendresse. - J"ai longtemps marché, j"ai traversé les montagnes, les villes et les villages, tant en humain qu"en renard. J"ai été sauvé par ma mémoire, par nos souvenirs et par la force que tu m"as donnée. Et voilà, je suis de retour. Petite Rousse s"est serré fort contre lui. Soudain, elle s"est écriée :
  - Mon Dieu, l"enchantement ! Quelque chose de terrible vient de se passer ! Qu"est-ce qu"on deviendra ?
  Martin souriait.
  - Voilà ce que j"ai appris en lisant les carnets de la vieille Fée. Il paraît que c"est ta mère la magicienne, qui t"avait enchantée juste avant de mourir. Peut-être qu"elle voulait ton bien, elle voulait que tu vives la vie sans soucis dans la Forêt sans jamais pénétrer le monde des humains. La Fée, quant à elle, a eu pitié de toi ; elle t"a laissé passer ton temps dans la ville en sachant que tu ne serais jamais heureuse sans voir les humains en ayant du sang humain...
  Petite Rousse était abasourdie par ce qu"elle avait entendu. Elle dit :
  - Mais qu"est-ce qu"on dit de l"enchantement ?
  - Voilà ce que j"ai lu : "... aucun être humain ne doit la voir dans l"image de renarde. Aucun être humain ne doit être témoin de sa transformation à cause de la folie qui l"envahira ; cette folie va le pousser à la tuer. Mais si elle survit, le bonheur l"attend : l"enchantement sera levé. A partir de ce moment, parmi les humains, elle sera humaine. Le chaos, les dangers, les transformations subites, tout sera fini ! Néanmoins, cela ne va jamais se passer, car elle périra de la main d"un être humain lorsque celui-ci perdra la raison... ".
  - Que c"est affreux! Et comment c"est étrange... - Petite Rousse tremblait dans les bras de Martin. - Mais... Et toi ? Toi aussi, tu es devenu...
  - L"enchantement était incapable de m"affecter, car nous n"étions pas liés par des liens de parenté. Mais tu sais bien que nous sommes liés... Par des liens beaucoup plus profonds.
  Elle poussa un soupir en souriant à travers les larmes.
  - Oui... - lui disait Martin. - Tout cela est déjà du passé. C"est la fin de l"enchantement. Tu peux être parmi les humains sans crainte. Et moi, je suis à jamais à tes côtés.
  La main dans la main, ils traversaient la ville somnolente, sous un regard pâle du soleil paresseux du matin. La paix tant attendue s"étalait finalement devant leurs yeux.
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